Définition de EMPORTER

DÉFINITIONS - REMARQUE - SYNONYME - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE -

Prononciation : an-por-té

DÉFINITIONS

1
Enlever d'un lieu pour porter dans un autre. Il a emporté tous ses livres.
Il commanda qu'on fit emporter le corps
de Claude Favre de VAUGELAS dans Q. C. VIII, 9, dans RICHELET
Qu'on m'emporte d'ici, je me meurs
de Pierre CORNEILLE dans Rodog. V, 4
Josabeth dans son sein l'emporta tout sanglant
de Jean RACINE dans Ath. IV, 3
La terre est emportée avec une rapidité inconcevable autour du soleil
de Jean de LA BRUYÈRE dans XVI
Sémantique : Fig. Vous ne l'emporterez pas en paradis, se dit par menace et pour signifier qu'on se vengera tôt ou tard.
Sémantique : Familièrement. Que le diable vous emporte, se dit pour exprimer le dépit, l'impatience contre quelqu'un.
Que le diable m'emporte si...., je veux que le diable m'emporte...., locution familière et hors du ton de la société, pour appuyer sur une chose, pour la nier ou l'affirmer, suivant qu'on ajoute ne ou qu'on ne l'ajoute pas. Que le diable m'emporte, si je fais cette visite.
Aussi, loin de contester ses vertus, je veux que le diable m'emporte.... - Plaît-il, monsieur ?
de Louis-Benoît PICARD dans Les deux Philibert, II, 14
On retranche aussi le que. Le diable vous emporte, m'emporte.
2
Enlever et porter avec soi. Il a emporté tout ce qu'il avait. Emportez ce livre, vous le lirez en route.
Sémantique : Fig.
Les Maures en fuyant ont emporté son crime
de Pierre CORNEILLE dans Cid, IV, 5
La joie en est publique, et les princes tous deux Des Syriens ravis emportent tous les voeux
de Pierre CORNEILLE dans Rodog. II, 1
N'est-il aucune voie Par où je puisse à Rome emporter quelque joie ?
de Pierre CORNEILLE dans Sertor. III, 2
Je n'emporterai donc qu'une inutile rage ?
de Jean RACINE dans Andr. III, 1
Pallas n'emporte pas tout l'appui d'Agrippine
de Jean RACINE dans Brit. III, 3
Toi-même tu l'as vu courir dans les combats Emportant après lui tous les coeurs des soldats
de Jean RACINE dans Bajaz. I, 1
Le roi qui m'attendait au sein de ses États, Vit emporter ailleurs ses desseins et ses pas
de Jean RACINE dans Mithr. I, 3
Ma mort n'emporte pas tout le fruit de vos feux
de Jean RACINE dans Iphig. V, 3
J'emporte de ce château et du philosophe qui l'habitait, un souvenir heureux qui ne s'effacera jamais de ma mémoire et de mon coeur
de Stéphanie Félicité Ducrest de St-Albin, comtesse de GENLIS dans Veillées du château t. II, p. 435, dans POUGENS
L'aîné emporte les deux tiers du bien, les deux tiers du bien sont dévolus à l'aîné.
3
Il se dit aussi des choses qui entraînent, emmènent avec soi. L'inondation a emporté les ponts. La terre nous emporte dans son mouvement diurne et annuel.
Il écrit, et les vents emportent sa pensée, Qui va dans tous les lieux vivre et s'entretenir
de Alphonse de LAMARTINE dans Harm. II, 10
Autant en emporte le vent, se dit de paroles, de menaces, de promesses qui ne se réalisent pas.
Il en est à mines discrètes Et d'un entretien décevant ; Mais fiez-vous à leurs fleurettes ; Autant en emporte le vent
de Me DE LA VIGNE dans dans RICHELET
Je disais, et les vents emportaient ma prière
de Alphonse de LAMARTINE dans dans le Dict. de POITEVIN
Sémantique : Terme de chasse. Le vent emporte la voie, se dit quand le vent empêche les chiens de sentir la voie. Un chien emporte la voie lorsqu'il suit ou chasse sans difficulté.
4
Prendre, ravir. Les voleurs ont tout emporté.
Par force ou par amour il croit vous emporter
de Pierre CORNEILLE dans Perthar, V. 1
Ces drapeaux glorieux Que de ce bras vainqueur j'emportai sous vos yeux
de Jean-François DUCIS dans Roméo, I, 3
Sémantique : Terme de guerre. Emporter une place, s'en rendre maître de vive force.
On eût emporté la ville, si toute l'armée eût donné
de D'ABLANCOURT dans Arrien, liv. I, dans RICHELET
Emporter une place, un retranchement à la pointe de l'épée, l'emporter d'assaut ; et fig. emporter quelque chose à la pointe de l'épée, l'emporter avec de grands efforts.
5
Sémantique : Fig. Entraîner moralement.
Je goûte le plaisir sans en être emporté
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Épît. II
Il faut se laisser emporter à la foule
de Jean-Louis GUEZ de BALZAC dans liv. IV, lett. 30
Quoi ! l'amour qu'en ton coeur j'ai fait naître aujourd'hui T'emporte-t-il déjà jusqu'à mourir pour lui ?
de Pierre CORNEILLE dans Cinna, V, 2
Les sentiments de douleur qu'il en peut légitimement concevoir devraient du moins l'emporter à faire quelques reproches à celle dont il se croit trahi, et lui donner par là l'occasion de le désabuser
de Pierre CORNEILLE dans Examen de Mélite.
Le souvenir des siens, l'orgueil de sa naissance L'emporte à tous moments à braver ma puissance
de Pierre CORNEILLE dans Héracl. I, 1
Et vous devez dompter l'ardeur qui vous emporte
de Pierre CORNEILLE dans Nicom. II, 3
Ce que demande Horace au poëte qu'il instruit, quand il veut qu'il possède tellement ses sujets qu'il en demeure le maître et les asservisse à soi-même, sans se laisser emporter par eux
de Pierre CORNEILLE dans Clit. Préface
C'est un homme qui emporte le coeur
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 155
Je me suis laissé emporter au plaisir de....
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 561
Ne vous fiez pas à votre puissance, et qu'elle ne vous emporte pas à des moqueries insolentes
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Polit. III, 3, 15
[Antiochus] exerce des cruautés inouïes : son orgueil l'emporte aux derniers excès
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. II, 5
Depuis ce temps, l'esprit de séduction règne tellement parmi eux qu'ils sont prêts encore à chaque moment à s'y laisser emporter
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans ib. II, 9
La fureur m'emportait, et je venais peut-être Menacer à la fois l'ingrate et son amant
de Jean RACINE dans Andr. III, 1
À quel excès de rage La vengeance d'Hélène emporta mon courage !
de Jean RACINE dans ib. IV, 5
À ce plaisir se laissant emporter, Il pourrait bien, moins discret et moins sage, De l'avenir entr'ouvrir le nuage
de MALFIL. dans Narc. ch. II
Il se dit aussi des animaux.
La frayeur les emporte [les chevaux]
de Jean RACINE dans Phèd. V, 6
6
Faire aller au delà de ce que l'on voudrait.
Monsieur, cette dernière [abomination] m'emporte, et je ne puis m'empêcher de parler
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Don Juan, V, 2
Oh ! ciel, je me serai trahi moi-même, la chaleur m'aura emporté
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans l'Av. I, 5
7
Causer la mort. Autrefois les famines emportaient des générations entières. Cette maladie l'emportera.
Cette raison du moins en mon mal me conforte, Que, s'il n'est supportable, il faudra qu'il m'emporte
de Jean de ROTROU dans Antig. III, 4
La fatigue et la blessure lui causèrent une fièvre avec un transport au cerveau qui pensa l'emporter
de Alain René LESAGE dans Diable boit. ch. 9
8
Détruire, faire cesser, faire disparaître. Le jus de citron emporte les taches d'encre. Une douleur que le temps emporte. Ce remède emporte la fièvre.
Les faveurs du tyran emportent tes promesses ; Tes feux et tes serments cèdent à ses caresses
de Pierre CORNEILLE dans Cinna, III, 4
Le gouvernement ne retire que 5 481 250 livres ; l'achat des matières, les frais de fabrication, les bénéfices du fermier emportent le reste
de Guillaume Thomas, abbé RAYNAL dans Hist. phil. IX, 19
9
Couper, retrancher. Le boulet lui emporta un bras.
On en donne ici pour trois écus [de jeunes lions] qui sont les plus jolis du monde ; en se jouant, ils emportent un bras ou une main à une personne
de Vincent VOITURE dans Lett. 40
Sémantique : Par exagération. Le chat lui a emporté la main, lui a fait de très fortes égratignures.
Sémantique : Fig. Emporter la pièce, railler d'une manière très mordante.
Il avait l'esprit enjoué, un peu railleur ; mais il raillait agréablement, sans emporter la pièce
de Alain René LESAGE dans Estev. Gonzal. ch. 36
10
Obtenir, avec une idée d'effort, de force, de violence.
Quand le monstre infâme d'Envie.... Jette les yeux dessus ta vie, Et te voit emporter le prix Des grands coeurs et des beaux esprits
de François de MALHERBE dans IV, 5
Ce que je méritais, vous l'avez emporté
de Pierre CORNEILLE dans Cid, I, 7
Il suit toujours son but jusqu'à ce qu'il l'emporte
de Pierre CORNEILLE dans Nicom. V, 4
En vérité, monsieur, quelque approbation qu'ait emportée votre nouvelle Jocaste
de Pierre CORNEILLE dans Lettre à l'abbé de Pure, 12 mars 1659
Ces grands rois qu'en tous lieux a suivis la victoire, Lui voyant emporter sur eux le premier rang
de Pierre CORNEILLE dans Andromède, Prologue.
J'apprends plus contre vous par mes désavantages Que les plus beaux succès qu'ailleurs j'aie emportés Ne m'ont encore appris par mes prospérités
de Pierre CORNEILLE dans Sert. III, 2
Vous seule d'un coup d'oeil emportâtes la gloire D'en faire évanouir....
de Pierre CORNEILLE dans Othon, II, 2
Oui, le destin de Rome emporte l'avantage
de Jean de MAIRET dans M. d'Asdrub. III, 1
Celui-ci sur son concurrent Voulait emporter l'avantage
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. VIII, 19
Et si de t'agréer je n'emporte le prix, J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. Au dauphin.
Il n'est pas possible que de telles extravagances où l'impiété et l'absurdité combattent ensemble à qui emportera le dessus....
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Var. XIII, 21
Il faut que la force, la magnanimité, la prudence et cent autres vertus soient le principe de ces victoires qu'on veut emporter sur les hommes
de MASCARON dans Anne d'Autriche, II
Fidèles qui jouissez dans le ciel d'un royaume que vous n'avez emporté que par la violence
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Car. Élus.
D'anciens tribuns du peuple et les principaux plébéiens se flattant d'emporter ces dignités parurent dans la place
de Abbé de René Aubert de VERTOT dans Révol. t. VI, p. 111
Ne soyez pas surprise si, bien que votre âme soit la plus sensible, la mienne sait le mieux aimer, et si, vous cédant en tant de choses, j'emporte au moins le prix de l'amour
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Hél. I, 2
Nature : Absolument. Obtenir à force d'instances, faire prévaloir une opinion dans un conseil.
Le célèbre Vauban emporta que la ville [de Namur] serait attaquée séparément du château, contre le baron de Bressé qui voulait qu'on fît le siége de tous les deux à la fois
de Louis de Rouvroy, duc de SAINT-SIMON dans 1, 25
Emporter un choix, le décider.
Et l'offre pour Othon de lui donner ma voix Soudain en ma faveur emportera son choix
de Pierre CORNEILLE dans Othon, II, 4
Que votre seul mérite emporte ce grand choix, Sans que votre présence ait mendié des voix
de Pierre CORNEILLE dans Pulch. I, 5
Emporter la balance, déterminer la préférence.
Ta beauté sans doute emportait la balance
de Pierre CORNEILLE dans Cid, III, 4
Enfin votre rigueur emporta la balance
de Jean RACINE dans Bérén. I, 4
Emporter quelque chose de haute lutte, l'obtenir, s'en emparer rapidement et malgré toute opposition.
L'emporter, être plus pesant. À volume égal, l'or l'emporte de beaucoup sur l'argent.
Sémantique : Fig. L'emporter, prévaloir.
Je ne craignais pas que la cruauté des ennemis l'emportât sur votre clémence
de Claude Favre de VAUGELAS dans Q. C. VI, 10, dans RICHELET
Enfin vous l'emportez, et la faveur du roi Vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi
de Pierre CORNEILLE dans Cid, I, 3
Vous le direz [le mot de prochain], ou vous serez hérétique, et M. Arnauld aussi, car nous sommes le plus grand nombre ; et, s'il est besoin, nous ferons venir tant de cordeliers que nous l'emporterons
de Blaise PASCAL dans Prov. I
Sur l'intérêt des Grecs vous l'aviez emporté
de Jean RACINE dans Iphig. IV, 4
Votre frère l'emporte et Phèdre a le dessus
de Jean RACINE dans Phèdre, II, 6
D'Esther, d'Aman, qui le doit emporter ?
de Jean RACINE dans Esth. II, 9
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi
de Jean RACINE dans Athal. II, 5
Dieu des Juifs, tu l'emportes
de Jean RACINE dans ib. V, 6
L'emporter, se dit aussi des choses.
Il est juste que nous soyons affligés et consolés comme chrétiens, et que la consolation de la grâce l'emporte par-dessus les sentiments de la nature
de Blaise PASCAL dans Lett. à Mme Périer, 17 oct. 1651
Sa table l'emporte sur celle d'un ministre pour la délicatesse et l'abondance
de Alain René LESAGE dans Diable boit. ch. 18
Et l'intérêt commun l'emporta dans mon coeur
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Tancr. I, 1
11
Avoir pour conséquence. Ce crime emporte la peine capitale.
La ruine de Rennes emporte celle de la province
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 227
Un oui affirmatif qui emporte l'acquiescement
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans II, Annonc. 2
Cette foi n'emporte-t-elle pas nécessairement une adoration ?
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans II, Var. 6
Le mariage avec Perci emportait la nullité de celui....
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans II, ib. 7
Notre succession de pasteurs est fondée sur une notoriété universelle qui emporte l'aveu même de nos adversaires
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans t. II, p. 9
Avoir du plaisir ou de la douleur n'emporte point en soi la capacité de rechercher l'un et de fuir l'autre
de Charles BONNET dans Ess. analyt. âme, ch. 19
Le droit de la défense naturelle n'emporte point avec lui la nécessité de l'attaque
de Charles-Louis de Secondat MONTESQUIEU dans Esp. X, 2
L'une et l'autre [l'erreur et la vérité], poussées au dernier degré, emportent conviction
de François René CHATEAUBRIAND dans Gén. III, I, 3
Sémantique : Terme de procédure. La forme emporte le fond, elle prévaut sur le fond, et un simple défaut de forme peut faire perdre la meilleure cause. Dans le sens contraire, le fond emporte la forme, il prévaut sur la forme.
Comporter.
Ils sentent bien qu'en disant que ces mots emportent la propre substance du corps et du sang, c'est faire clairement paraître que le dessein de Notre-Seigneur a été d'exprimer le corps et le sang
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Var. XII, § 4
Les piliers de ces arches [d'un aqueduc près de Carthage] emportent seize pieds sur chaque face
de François René CHATEAUBRIAND dans Itin. III, 188
12
S'emporter, Nature : v. réfl. Être emporté, ôté. Ces meubles s'emportent aisément.
13
Se lancer.
Un limier le fait partir, Il tâche à se garantir, Dans les forêts il s'emporte
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. VI, 9
Ne plus obéir, en parlant d'un cheval, d'un chien de chasse.
Sémantique : Terme de jardinier. On dit qu'un arbre s'emporte quand il pousse en hauteur sans se garnir du bas, ou qu'une de ses branches se développe plus que les autres.
14
Se laisser aller à des mouvements, à des paroles, à des actes violents, passionnés.
Il est difficile à un misérable de parler avec modération et de ne se pas emporter
de Claude Favre de VAUGELAS dans Q. C. VI, 10, dans RICHELET
Il s'emportait parfois d'une noble insolence
de François L'Hermite, sieur du Soliers, dit TRISTAN L'HERMITE dans M. de Chrispe, I, 3
Mon père, retenez des femmes qui s'emportent
de Pierre CORNEILLE dans Hor. II, 8
Je veux, je ne veux pas, je m'emporte et je n'ose
de Pierre CORNEILLE dans Cinna, I, 2
Ah ! c'en est trop, et vous vous emportez
de Pierre CORNEILLE dans ib. III, 3
.... Je m'emporte, et mes sens interdits Impriment leur désordre en tout ce que je dis
de Pierre CORNEILLE dans Tite et Bér. II, 5
Trop chaud ami qu'il est, il s'emporte à tous coups Pour un fourbe insolent qui se moque de nous
de Pierre CORNEILLE dans la Veuve, V, 6
Faute de me connaître, il s'emporte, il s'égare
de Pierre CORNEILLE dans Nicom. I, 3
[Il] s'emportera sans doute et bravera son père
de Pierre CORNEILLE dans ib. I, 5
Mais, seigneur, je m'emporte, et l'excès d'un tel heur Me fait vous en parler avec trop de chaleur
de Pierre CORNEILLE dans Sert. I, 3
Tel contre vous et moi s'osera révolter, Qui contre un si grand corps craindrait de s'emporter
de Pierre CORNEILLE dans Pulchér. III, 3
Le prince a dû recevoir une puissance indépendante de toute autre puissance qui soit sur la terre ; mais il ne faut pas pour cela qu'il s'oublie, ni qu'il s'emporte, puisque moins il a de compte à rendre aux hommes, plus il a de compte à rendre à Dieu
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Polit. IV, II, 4
Rien ne peut m'ébranler ; Jugez-en, puisqu'ainsi je vous ose parler, Et m'emporte au delà de cette modestie, Dont, jusqu'à ce moment, je n'étais point sortie
de Jean RACINE dans Mithr. IV, 4
Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée Que sur la foi promise et rarement gardée ; Je m'emporte, seigneur
de Jean RACINE dans Baj. II, 3
S'emporter à, jusqu'à.
Permettez que je me laisse emporter au ravissement que me donne cette pensée
de Pierre CORNEILLE dans Poly. à la reine régente
Mais tous deux s'emportant à plus d'irrévérence
de Pierre CORNEILLE dans Poly. III, 2
Les gens de guerre connaissent qu'ils sont maîtres de donner l'empire ; ils s'emportent jusqu'à le vendre publiquement au plus offrant
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. III, 7
Il n'y a certes qu'une extrême préoccupation qui puisse s'emporter à un tel reproche
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Fragm. sur div. mat. de controverse, III
S'étant emporté mal à propos à quelques discours
de Antoine HAMILTON dans Gramm. 9
Télémaque s'emporta jusqu'à menacer Phalante
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans Tél. XVI
S'emporter dans, en.
J'ai suivi tes conseils ; mais plus je l'ai flattée, Et plus dans l'insolence elle s'est emportée ; Si bien qu'enfin outré de tant d'indignités, Je m'allais emporter dans les extrémités
de Pierre CORNEILLE dans Pomp. II, 4
Hélas ! que je m'emporte en regrets superflus !
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Brut. IV, 2
Je ne m'emporte plus en d'inutiles plaintes
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Olympe, V, 3
S'emporter de colère, de chaleur, se laisser emporter par la colère, par la chaleur.
S'il est bien amoureux, il peut s'emporter de colère et tuer dans un premier mouvement
de Pierre CORNEILLE dans Deuxième disc.
M. de la Rochefoucauld, qui avait plus de coeur que d'expérience, s'emporta de chaleur ; il n'en demeura pas à son ordre, il sortit de son poste et chargea les ennemis
de Jean-François Paul de Gondi, cardinal de RETZ dans Mém. II
Ellipse de se, avec le verbe laisser.
Laissant emporter son esprit, qui manque naturellement un peu d'assiette, aux impressions précipitées de la surprise
de VAUVENARGUES. dans Caract. XVIII
Se fâcher violemment, s'abandonner à la colère. Il s'emporte pour rien. Il s'est emporté contre ses enfants.
Ah ! vous êtes dévot, et vous vous emportez !
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Tart. II, 2
Mon Dieu ! tout doux ; vous allez d'abord aux invectives ; est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ?
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Mal. im. I, 5
Doucement, diras-tu, que sert de s'emporter ?
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. VIII
Ah ! sans vous emporter, Souffrez que mes efforts tâchent de l'arrêter
de Jean RACINE dans Alex. I, 3
Elle, aussi fière que celles qui ont le plus d'innocence, et aussi prompte que celles qui en ont le moins, s'emporta sur un soupçon qui lui donnait plus de chagrin que de confusion
de Antoine HAMILTON dans Gramm. 9
Dans le style très familier. S'emporter comme une soupe au lait, se livrer subitement à un mouvement de colère qui ne dure pas longtemps. Cette comparaison est fondée sur ce que, quand le lait bout, il vient un moment où les bouillons s'élèvent tout à coup au-dessus de la casserole et se répandent si l'on ne la retire aussitôt. Cette locution offre l'exemple curieux et assez commun chez nous d'une affection morale assimilée à un fait purement physique.

REMARQUE

1
" On emporte une place, dit Voltaire, on remporte un avantage, on a un succès, on n'emporte point un succès ; c'est un barbarisme. " Il n'y a point de barbarisme ; les meilleurs auteurs au XVIe et au XVIIe siècle ont parlé ainsi ; et il n'y a aucune raison pour ne pas parler comme eux.

SYNONYME

1
EMPORTER LE PRIX, REMPORTER LE PRIX. La particule réduplicative re a tellement perdu ici son sens propre, que l'usage seul a établi quelque différence, non dans le sens, mais dans l'emploi. On dit remporter un prix quand il s'agit des distributions de prix, des concours ; en ce cas, emporter ne s'emploie pas. Mais, quand il ne s'agit pas de ces distributions, et surtout dans le style élevé, emporter est de mise. Emporter se prend surtout dans le sens superlatif, c'est-à-dire avec l'article le qui donne à prix le sens général : il emporte le prix. Mais, s'il s'agit de prix particuliers, on dira : il remporte un prix, des prix.

HISTORIQUE

1
XIe s.
Se truis [si je trouve] Rolant, [il] n'enportera la teste [ne s'en ira avec la tête sur ses épaules]
dans Ch. de Rol. LXXIII
2
XIIe s.
De Saragoce les cles [clefs] enporterez
dans Ronc. p. 31
Et je meïsme n'enporterai la vie [ne reviendrai vivant]
dans ib. p. 83
Si m'emporta en som [au sommet d'] un pui mout grant
dans ib. p. 164
Il peut sa crois garder et estoier [ficher], Qu'encor l'a-il tele qu'il l'emporta [à la croisade]
de HUES D'OISI dans Romanc. p. 104
3
XIIIe s.
Tant que la vraie histoire [j'] emportai avec mi
dans Berte, I
Si comenda que ses cuers fust enfouis à Roem, et ses cors fust emportés à Londres et enfouis en la mere eglise
dans Chr. de Rains, 80
Et aucune fois ele [une société commerciale] se fet en tele maniere que li un emporte part au gaaing s'il y est ; et se perte torne, il n'emporte point de perte
de Philippe de BEAUMANOIR dans XXI, 33
Combien que il y ait de mariages et filles de cascun [chaque] mariage, et du deerain mariage fust uns hoirs malles [mâle], si emporteroit il l'ainsneece contre se [sa] sereur
de Philippe de BEAUMANOIR dans XVIII, 24
Comment que uns autres enport les fruis d'un fief duquel je sui hoirs, je sui tenus à obeir
de Philippe de BEAUMANOIR dans XII, 12
4
XVe s.
Et laira-t-on les Anglois convenir et les Portingalois aller et venir parmi le pays de Castille ; ils n'emporteront pas le pays, quand ils s'en iront, avecques eux
de Jean FROISSART dans II, III, 61
Le quel Charolois rendit responce, en disant que diable peust emporter ceulx qui faisoient tel, et qu'ils faisoient plus que on ne leur commandoit
de JEHAN DE TROYES dans Chron. 1465
S'il en a fait occision, Autant en emporte le vent ; Gens pleins de dissolucion, On les doit corriger souvent
dans Recueil de farces, p. 381
5
XVIe s.
Amy Gavan, on t'a fait le rapport Depuis un peu que j'estois trespassé : Je prie à Dieu que le deable m'emport S'il en est rien, ne si j'y ai pensé
de Clément MAROT dans III, 50
Les mots de Moyse n'emportent sinon qu'il a imposé nom à l'autel
de Jean CALVIN dans Instit. 78
L'un et l'aultre de ces deux moyens m'emporteroit aysement
de Michel de MONTAIGNE dans I, 12
Il se laisse emporter à ce dernier accident
de Michel de MONTAIGNE dans I, 6
Ainsin emporte les bestes leur rage à s'attaquer à....
de Michel de MONTAIGNE dans I, 25
S'ils emportent la victoire sur eulx
de Michel de MONTAIGNE dans I, 241
Si tu ne portes la douleur, elle t'emportera
de Michel de MONTAIGNE dans I, 304
Je n'estime point qu'en suffisance et en grace à cheval nulle nation nous emporte
de Michel de MONTAIGNE dans I, 368
Capoue feut emportée le lendemain
de Michel de MONTAIGNE dans II, 37
Un chien luy emporta le gras de la jambe
de Michel de MONTAIGNE dans III, 302
On disait à Socrates que quelqu'un ne s'estoit aulcunement amendé en son voyage : Je crois bien, dict-il ; il s'estoit emporté avecques soy
de Michel de MONTAIGNE dans I, 38
Emporter le prix
de Jacques AMYOT dans Thés. 22
Le sort la [Hélène] donna à Theseus, qui l'emporta en la ville de Aphidnes
de Jacques AMYOT dans ib. 39
Leur risée emportoit tousjours, quand et elle, un doulx admonestement
de Jacques AMYOT dans Lyc. 53
Il y eut grande contention et grande contrariété d'opinions, toutefois à la fin la plus doulce l'emporta
de Jacques AMYOT dans Cam. 73
La peste, oultre une multitude innumerable de peuple, emporta encore plusieurs magistrats
de Jacques AMYOT dans Cam. 74
Demosthenes, l'ayant souspesée, s'esmerveilla du poids qui estoit grand, et demanda combien de poids elle emportoit ; et Harpalus en se riant lui respondit : Elle t'emportera vingt talents ; et sitost que la nuict fut venue, luy envoya la couppe avec les vingt talents
de Jacques AMYOT dans Démosth. 36
Ceux à qui un gros boulet aura emporté un membre
de Ambroise PARÉ dans IX, 10
Philippe, pour la grandeur de ses mérites, emporta, par la voix des doctes, le surnom d'Auguste
de Étienne PASQUIER dans Rech. III, 29

ÉTYMOLOGIE

1
En 2, et porter ; bourguig. empôtai ; provenç. emportar. Emporter, c'est porter de là : lat. inde portare.

Synonymes de EMPORTER

Termes proches de EMPORTER