Définition de MANGER

DÉFINITIONS - PROVERBES - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : man-jé. Le g prend un e devant a et o : mangeant, mangeons

DÉFINITIONS

1
Mâcher et avaler quelque aliment. Manger du pain, de la viande.
Celui de la race de Baasa qui mourra dans la ville sera mangé par les chiens, et celui qui mourra à la campagne sera mangé par les oiseaux du ciel
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Rois, III, XVI, 4
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. VII, 1
Qu'importe qui vous mange, homme ou loup ? toute panse Me paraît une à cet égard
de Jean de LA FONTAINE dans ib. X, 4
....Il mangea deux perdrix Avec une moitié de gigot en hachis
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Tart. I, 5
Là.... Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Ép. VI
Un homme fort riche peut manger des entremets, faire peindre ses lambris et ses alcôves, jouir d'un palais à la campagne et d'un autre à la ville....
de Jean de LA BRUYÈRE dans VI
Les Iroquois même, qui mangent leurs prisonniers, en ont un [droit des gens]
de Charles-Louis de Secondat MONTESQUIEU dans Espr. I, 3
Juvénal rapporte que, chez les Egyptiens, ce peuple si sage, si renommé pour les lois, ce peuple si pieux qui adorait des crocodiles et des oignons, les Tentyrites mangèrent un de leurs ennemis tombé entre leurs mains
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Dict. phil. Anthropoph. 1
La belle Anglaise a été tuée et mangée ; ma soeur a été prise et sera mangée tout de même
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Jenni, 7
Les Africains mangent aussi la chair des panthères et des lions
de Georges Louis Leclerc, comte de BUFFON dans Suppl. à l'hist. nat. Oeuv. t. XI, p. 130
Manger à, se dit pour indiquer l'assaisonnement.
Ce sont des artichauts dont vous déjeunez là ? - Oui, général. - Vous, Rapp, vous les mangez à l'huile ? - Oui, général. - Et vous, Savary, à la sauce ? Moi je les mange au sel
de Paul Louis COURIER dans Pamphlet des pamphlets
Sémantique : Fig. Perdre, mettre à mal, par comparaison à un loup qui dévore sa proie.
Le temps est venu où tous les philosophes doivent être frères, sans quoi les fanatiques et les fripons les mangeront tous les uns après les autres
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Lett. Duclos, 11 août 1760
Sémantique : Fig. Manger son pain dans sa poche, jouir de ses richesses, de ses avantages sans en faire part à personne.
Et que les riches communiquent leurs biens aux pauvres, sans manger, comme l'on dit, leur pain dans leur poche
de D'ABLANC. dans Lucien, dans LE ROUX, Dict. com.
Il sait bien son pain manger, il sait vivre, il entend bien ses intérêts.
Manger le pain du roi, se disait autrefois pour être soldat.
Manger son pain blanc le premier, avoir dans sa jeunesse des biens dont on est ensuite privé ; se dit aussi pour : commencer une affaire par la partie la plus agréable.
Cela ne mange point de pain, se dit de livres, de papiers dont la conservation ne coûte aucune dépense.
Voilà ce que les rats n'ont pas mangé, se dit quand on produit quelque chose qu'on gardait secrètement.
Manger de la vache enragée, éprouver beaucoup de privations et de fatigues.
Ils se sont mangé les yeux, ils se sont fortement querellés.
Sémantique : Fig. Manger à quelqu'un le blanc des yeux, lui manger la vue, ou, simplement, le manger, se courroucer fortement contre lui.
Dedans l'esprit il me vint aussitôt De l'étrangler, de lui manger la vue
de Jean de LA FONTAINE dans Coc.
Cette madame Denis, quoique fort douce, mangerait les yeux de quiconque....
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Lett. Damilaville, 15 juin 1761
On dit dans un sens analogue : manger le coeur de quelqu'un.
Ah ! je vais soulever la nation, et manger le coeur d'Anytus
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Socrate, III, 10
Sémantique : Fig. Manger des pois chauds, se disait, au XVIIe siècle, pour : ne savoir que répondre, par comparaison avec un homme qui a dans la bouche des pois chauds qui le brûlent.
Il ne sait que répondre, il mange des pois chauds
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 6 oct. 1679
Il ne me mangera pas, se dit populairement pour exprimer qu'on ne redoute pas de se présenter devant quelqu'un, et qu'au besoin on lui tiendra tête.
Messire Jean, est-ce quelqu'un d'étrange [étranger] ? Que craignez-vous ? hé quoi ! qu'il ne vous mange ?
de Jean de LA FONTAINE dans Jument.
Sémantique : Fig. Manger quelqu'un, quelque chose des yeux, regarder avidement quelqu'un, quelque chose.
Sémantique : Fig. Manger de la prison, être mis souvent ou longtemps en prison.
Va, tu en mangeras de la prison, je te le promets
de Paul Louis COURIER dans Lett. particul.
Il mange l'or à la cuiller, il est très riche.
Sémantique : Par menace, je le mangerais avec un grain de sel, à la croque au sel, se dit d'un homme à qui l'on se croit supérieur en force.
Villars paya d'effronterie, et ne parlait que de manger l'armée ennemie avec ses rodomontades usées
de Louis de Rouvroy, duc de SAINT-SIMON dans 277, 238
2
Absolument et sans régime, prendre des aliments.
Ayant fait voeu avec de grands serments de ne manger ni boire qu'ils ne l'aient tué
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Actes des ap. XXIII, 21
Quand il y a à manger pour huit, il y en a pour dix
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans l'Avare, III, 5
Dorante : Je voudrais que le repas fût plus digne de vous être offert. - Dorimène : Je ne réponds à ce compliment qu'en mangeant comme je fais
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Bourg. gent. IV, 1
Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger
de ID. dans l'Avare, III, 5
Je suis bien heureuse que le conseil que j'ai donné de la part de Fagon de manger davantage ait réussi ; cette sorte de régime, pour les personnes délicates, s'introduit beaucoup
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans Lett. 24 janv. 1680
Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez pas ?
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. III
Elles donnèrent bien à manger aux noirs marrons, qui s'en retournèrent dans leurs bois
de Jacques Henri BERNARDIN DE SAINT-PIERRE dans Paul et Virg.
Manger de tout, n'être point difficile sur ses aliments. Cet enfant mange de tout.
Sémantique : Fig.
C'est dommage de laisser son esprit [du jeune de Grignan] inculte ; je ne sais s'il n'est pas encore trop jeune pour le laisser manger de tout
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 16 juill. 1677
Bien manger, manger de bon appétit.
Mais quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme à tout, Et les plus grands revers n'en viendraient pas à bout
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Sgan. 7
[Il] A fait, en bien mangeant, l'éloge des morceaux
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. III
Savoir manger, être grand connaisseur dans les choses de la table.
C'est un personnage illustre dans son genre et qui a porté le talent de se bien nourrir jusqu'où il pouvait aller ; on ne reverra plus un homme qui mange tant et qui mange si bien
de Jean de LA BRUYÈRE dans XI
Les animaux se repaissent ; l'homme mange ; l'homme d'esprit seul sait manger
de BRILLAT-SAVARIN dans Phys. du goût, Aph. 2
Manger dans la main, voy. MAIN, n° 1.
Sémantique : Populairement. Manger comme un chancre, manger excessivement.
On dit dans le même sens : manger comme quatre.
Sémantique : Fig. Il y a à boire et à manger, se dit d'une affaire qui peut avoir à la fois de bons et de mauvais résultats, d'une question qui présente deux sens, d'un ouvrage où il y a du bon et du mauvais.
3
Nature : Absolument. Prendre ses repas. Il ne mange jamais chez lui.
Il mange chez Mme de Coulanges
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 497
Ils ont même oublié le passé pour l'amour de moi, et l'ont priée à manger
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 555
Les chambres du quartier se remplissaient de demi-pensionnaires qui voulaient du moins manger chez lui
de Bernard le Bouyer de FONTENELLE dans Leméry.
Je ne vois pas pourquoi un homme qui peut et doit manger en public avec le doge et le sénat de Venise, ne pourrait pas manger en particulier avec M. le duc de Modène
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Confess. VII
Manger dans sa chambre, ne pas manger, pour une raison quelconque, avec la famille, ou, dans une auberge, un hôtel, à la table d'hôte.
Comme elle est malade et que j'aurai compagnie, elle mangera dans sa chambre
de Pierre de MARIVAUX dans Marianne, 6e part.
On mange bien chez cette personne, chez ce restaurateur, on y fait, on y prend de bons repas.
Donner à manger, recevoir chez soi à dîner une personne, de la compagnie.
Le comte d'Estrées est son ami et lui donne souvent à manger
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 571
Marion était une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait fait sa cuisinière, quand, cessant de donner à manger, elle avait renvoyé la sienne
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Confess. II
Donner à manger, signifie aussi tenir une maison où les gens viennent prendre leur repas en payant.
Sémantique : Terme de sucrerie. Donner à manger à un moulin, lui fournir des cannes pour en exprimer le suc.
4
Il se dit des insectes qui rongent certains objets. Cette fourrure a été mangée par les vers. On a laissé manger aux vers cette fourrure.
Puissance des mouches : elles mangent notre corps
de Blaise PASCAL dans Pensées, XXV, 120, édition HAVET.
Sémantique : Populairement. La pauvre enfant était mangée de puces, elle en avait sur elle une grande quantité qui la piquaient.
5
Sémantique : Fig. Consumer le corps, en parlant de maladies. Les écrouelles mangent cet enfant. Un ulcère lui mange la jambe.
Il se dit de l'air qui agit défavorablement sur la santé.
Je pense fort souvent à votre santé, à votre tête, à cet air impétueux qui vous mange
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 27 avr. 1689
6
Dépenser en parties de table un certain argent. Nous mangerons ensemble, si vous voulez, l'argent du jeu.
Mangeons gaîment l'argent de mon tombeau
de Pierre Jean de BÉRANGER dans Mon tomb.
7
Sémantique : Fig. Dépenser d'une façon quelconque.
Un tel vit noblement, il mange son bien avec honneur
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Mauv. riche.
J'étais bien résolu, plutôt que de plier, D'y manger ma boutique et jusqu'à mon mortier
de Jean-François REGNARD dans Légat. II, 9
Celui qui mange dans l'oisiveté ce qu'il n'a pas gagné lui-même, le vole
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Ém. III
Jean s'en alla comme il était venu, Mangeant le fonds avec le revenu
de Jean de LA FONTAINE dans Épitaphe.
Un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j'ai !
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Méd. m. lui, I, 1
Il a retrouvé autant de bien qu'il en avait mangé
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans c07
Il n'avait mangé du bien de sa femme que douze mille francs
de Françoise d'Aubigné, marquise de MAINTENON dans Lett. au d. de Noailles, 11 juin 1703
Qui, ce jeune fou qui a joué et mangé tout son bien ?
de Florent Carton, sieur d'Ancourt, dit DANCOURT dans Femme d'intrigues, I, 3
Ce garçon de famille qui mange avec une femme de théâtre une maison de campagne qu'il a près de l'Escurial
de Alain René LESAGE dans Diabl. boit. ch. 20, dans POUGENS
On me voit une disposition plus que prochaine à manger sa succession
de Alain René LESAGE dans Turcaret, III, 5
Freind en trois jours trouva cent mille livres sterling, que la cour de Charles VI mangea en moins de trois semaines
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Jenni, 4
Maint vieux parent me répète Que je mange ce que j'ai
de Pierre Jean de BÉRANGER dans H. rangé.
Il a mangé son blé en vert, son blé en herbe, se dit de celui qui a dépensé d'avance son revenu, qui a mangé d'avance une succession.
D'amasser leur froment en gerbe, Au lieu de le manger en herbe
de Paul SCARRON dans Virg. dans LE ROUX, Dict. com.
Cela me donna la belle pensée de vouloir être maîtresse de les vendre [des grains] quand il me plairait, et de manger mon blé en vert quand la fantaisie m'en prendrait
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 4 juill. 1679
On a dit de même : manger sur le poing.
Où tout apprivoisé je mangeais sur le poing
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Sat. X
Sa part est mangée, c'est-à-dire il ne peut plus rien espérer de cette affaire, de cette prétention.
Croiriez-vous.... Que ma part, comme on dit, en fût déjà mangée ?
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Sat. XII
8
Sémantique : Fig. Être la cause de dépenses excessives, ruiner. Ses valets le mangent ; ses chevaux, ses chiens le mangent ; les femmes le mangent.
Mon zèle pour les colonies [à Ferney] m'a mangé
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Lett. d'Argental, 26 sept. 1770
9
Sémantique : Fig. Vivre aux dépens de, ruiner, lever des contributions, faire des exactions.
Lorsqu'un roi mange son peuple jusques aux os et qu'il vit en son État comme en terre d'ennemi
de Jean-Louis GUEZ de BALZAC dans De la cour, 7e disc.
Le Mazarin n'est pas à son aise ni en assurance ; il a mangé la France, les Français le mangeront
de Gui PATIN dans Lettres, t. II, p. 526
L'armée était à Deinse le 16 ; le roi y devait arriver ce jour-là pour la faire marcher près de Gand et manger ce bon pays
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 20 mai 1678
Puisqu'il [Toulongeon, un cousin de Mme de Sévigné] ne m'a point fait de réponse, je ne veux plus de commerce avec lui que pour le manger jusques aux os quand j'irai en Bourgogne
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 5 oct. 1685
Des chicaneurs viendront nous manger jusqu'à l'âme, Et nous ne dirons mot !...
de Jean RACINE dans Plaid. I, 7
10
Il se dit de choses qui en rongent, détruisent, minent, absorbent d'autres. Cette forge mange bien du charbon. Le grand jour mange les couleurs. La rouille mange le fer. Les épinards mangent beaucoup de beurre.
Mangeant ses bords, le Gange engloutit et les arbres et une grande partie du terroir
de Claude Favre de VAUGELAS dans Q. C. 471
11
Sémantique : Fig. Manger quelqu'un de caresses, lui faire de grandes caresses.
Madame la duchesse eut la bonté de la manger de caresses
de Louis de Rouvroy, duc de SAINT-SIMON dans 262, 5
Nature : Absolument. Manger, accabler de caresses.
Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai, Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Éc. des f. V, 4
Je ne m'étonne pas si, après l'avoir grondé, vous vous êtes mise à l'aimer, à le manger ; car il n'y a que cela à faire à un petit ange comme celui-là
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 566
Être joli à manger, être à manger, se dit d'un joli enfant, d'une jolie personne.
Cette bonne petite princesse est si tendre et si jolie que l'on voudrait la manger
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 394
Mongobert m'a mandé des merveilles de Pauline.... c'est une petite fille à manger
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 423
Le cousin est masqué mieux que personne en France ; Il est tout à manger : les femmes dans le bal Le prendront pour l'Amour en propre original
de Jean-François REGNARD dans le Bal, 16
Lélio : Que de grâces ! et que de variété dans ces grâces ! - Arlequin : C'est une créature à manger
de Pierre de MARIVAUX dans Surpr. de l'am. I, 2
On dit plus ordinairement : à croquer.
Manger les crucifix, se dit en parlant des hypocrites, des dévots outrés qu'on voit sans cesse agenouillés dans les églises.
12
Ne pas articuler nettement. Manger ses mots, la moitié de ses mots.
Il mangea la moitié de ce qu'il avait à dire, et nous comprîmes par l'autre qu'il venait de déclarer la rupture du mariage
de Jean-François Paul de Gondi, cardinal de RETZ dans Mém. III, 223
Ne pas prononcer.
Ce serait que, pour la facilité de la prononciation, vous voulussiez me permettre, comme faisait ma vieille amie la comtesse de Dalets, de la maison d'Estin, de manger l'article, et, au lieu de faire dire rigoureusement madame la comtesse de Dalets, vous voulussiez bien vous contenter de la comtesse Dalets
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 22 juin 1690
13
Sémantique : Familièrement. Manger un ordre, une commission, l'oublier. Je lui avais prescrit de m'attendre, mais il a mangé l'ordre.
14
Terme dont on se sert à quelques jeux de cartes pour indiquer que les atouts supérieurs emportent les inférieurs.
Manger les cartes marquantes, les prendre avec les cartes supérieures.
15
Sémantique : Terme de marine. Manger le vent à un bâtiment, se dit d'un objet, d'une hauteur sur la côte qui intercepte le vent.
On dit, à peu près dans le même sens, être mangé par la brume ou le soleil.
Un bâtiment est mangé par la terre, lorsque la forme et la couleur de ce navire ne se détachent pas de la terre qui est de l'autre côté du bâtiment, et que, par cette cause, il est presque impossible de le voir du large.
Un navire est mangé par la mer quand, vu d'un autre navire, il disparaît dans le creux des lames.
Manger un navire, se disait des flots soulevés qui l'assiégent et le submergent incessamment. L'on a toute la journée remarqué que la Vipère n'avait point chassé, mais qu'elle souffrait extrêmement ; que la mer la mangeait et la couvrait de ses vagues, Desclouzeaux à Seignelay. 1682, dans JAL.
Manger du sable, retourner le sablier, sans attendre que tout le sable contenu dans la bouteille supérieure soit tombé dans l'autre.
16
Manger les nuages, se dit vulgairement de l'action de la lune dont la chaleur d'emprunt, sans pouvoir échauffer la masse de l'atmosphère, suffit pour faire brèche dans le rideau de vapeur, et, rendant la nuit claire, faire baisser la température.
17
Sémantique : Terme de manége. Manger le chemin, se dit d'un cheval qui avance trop.
18
Se manger, Nature : v. réfl. Être mangé. Les choux se mangent avec du lard.
19
Se manger l'un l'autre, se servir de nourriture l'un à l'autre.
C'est ainsi que cette destinée éternelle portait que MM Banck et Solander découvriraient de nos jours un pays immense où les hommes se mangent les uns les autres aussi communément que nous persécutons, que nous calomnions notre prochain à Paris
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Fragm. sur l'hist. art. 23
Sémantique : Fig. Se manger l'un l'autre, se nuire l'un à l'autre autant qu'on le peut.
En quel siècle suis-je venu ! L'on se déchire, l'on se mange
de GOMBAUD dans Épigr. liv. I, dans RICHELET
On a vu la liaison de Mme la duchesse avec la Choin et les nièces de Vaudemont, en attendant qu'elles se mangeassent les unes les autres à qui demeurerait l'entière autorité sur Monseigneur
de Louis de Rouvroy, duc de SAINT-SIMON dans 206, 23
Se manger des yeux, se regarder avec passion.
20
Sémantique : Fig. Être dépensé.
Ce qu'il y a de plus de revenu à Marseille, se mange bien par les voyages
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 406
21
Sémantique : Terme de grammaire. Être élidé. Voyelle qui, dans la prononciation, se mange devant une autre voyelle. En français, l'e muet se mange devant une voyelle.

PROVERBES

1
Exemple : Les gros poissons mangent les petits, c'est-à-dire les puissants oppriment et pillent les faibles.
2
Exemple : Qui se fait brebis, le loup le mange, c'est-à-dire qui a trop de bonté trouve bientôt des gens qui en abusent.
3
Les loups ne se mangent pas, les méchants s'épargnent entre eux.
4
Exemple : Brebis comptées, le loup les mange, c'est-à-dire cela porte malheur de savoir son compte, et, plus raisonnablement, il ne suffit pas de les avoir comptées, il faut savoir les garder.
5
Il est savant jusqu'aux dents, il a mangé son bréviaire.
6
L'appétit vient en mangeant, le désir de s'enrichir ou de s'élever augmente à mesure qu'on acquiert de la fortune ou des honneurs.

HISTORIQUE

1
XIe s.
N'en mangeront [de nos corps] ne lou, ne por, ne chien
dans Ch. de Rol. CXXX
2
XIIe s.
Sauvages bestes ne les pourront mangier
dans Roncisv. p. 83
Quant il orent mengié, ses [si les] en [de table] convint lever
dans Sax. XII
Hé Dex, ce dist li rois, qui mengas à la cene
dans ib. XX
Idonques fu ocis et au coeu [cuisinier] fu livrez ; Li keus manja le cuer ; quant lui fu demandez, Fist au seignur acreire que sans cuer estoit nez
dans Th. le mart. 31
3
XIIIe s.
Que plus seurement guerroie cil qui a à mengier que cil qui n'en a point
de Geoffroi de VILLEHARDOUIN dans LXII
Et quant il lui donnoit à boire et à mengier
dans Berte, XI
En dormant lui sembloit que une ourse sauvage Lui menjoit le bras destre
dans ib. LXX
Et avint que li rois Richars manda au comte de Sancerre et as barons que il mangoient le pain le roi pour nient
dans Chr. de Rains, 63
Je me plains à lui [Amour] de Dangier, Qui par poi [peu s'en fallut] ne me volt [veut] mengier
dans la Rose, 3132
À la table le roy, manjoit emprès li le conte de Poitiers....
de Jean, PRINCE DE JOINVILLE dans 205
Mon frere le sire de Vauquelour [Vaucouleurs] et les autres riches homes qui là estoient, donnerent à manger chascun l'un après l'autre, le lundi, le mardi, le mercredi
de Jean, PRINCE DE JOINVILLE dans 208
4
XIVe s.
Ce qui est dict, en la venerie des rouges bestes, viander, est dict es noires bestes menger
dans Modus, f. XXX
Mengier une fois le jour est vie d'ange, et mengier deux fois le jour est vie humaine, et trois fois ou quatre ou plusieurs est vie de beste et non pas de creature humaine
dans Ménagier, I, 3
Pierre Alfons dit : une des grans adversitez de ce siecle, c'est quant un homme franc par nature est contraint par poureté de mangier l'aumosne de son ennemi
de LE CHEV. dans DE LA TOUR, Instruct.
À ses filles, f° 81, dans LACURNE. Et vous estes ici et de gent grand foison, Où vous ne trouverez vivres ne garnison ; Li païz est mangiez et pilliez environ
dans Guesclin, 12513
5
XVe s.
Bien jeune le jour qui au soir a assez à menger
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 201
Les gens de guerre furent licenciés et retournerent chacun ès lieux dont ils estoient venus, en mangeant le pauvre peuple, selonc la coutume d'adonc
de Enguerrand de MONSTRELET dans I, 63
Mal fait mangier à l'appetit d'autrui
de Eustache DESCHAMPS dans Poésies mss. f° 358
Sans sausse mangue l'en bien rost
de Eustache DESCHAMPS dans ib. f° 379
Il va prendre le roy par le heaulme à force de bras et dist : Gentil roy, trop vous glorifiez en vos prouesses ; cuydez vous tout le tournoy manger ?
dans Perceforest, t. I, f° 147
La poudre qui corrosive estoit, lui gasta et mangea trestout l'oeil
de LOUIS XI dans Nouv. X
6
XVIe s.
Le medecin luy avoit ordonné qu'il mangeast d'une grive
de Jacques AMYOT dans Lucull. 80
Il leur semble, quand ils voyent les ennemis en barbe, qu'ils doyvent manger (comme on dit) les charrettes ferrées
de Francois LANOUE, dit Lanoue Bras de Fer dans 318
Les armées se reculerent, tirans vers les quartiers moins mangez
de Francois LANOUE, dit Lanoue Bras de Fer dans 678
Environ trois cens hommes sortirent de la ville ; toutefois ils ne l'eslongnerent plus que d'une mousquetade, et ne voulurent attendre le capitaine Loup, combien qu'il essayast de les attaquer plusieurs fois ; voyant donc qu'ils n'en vouloient autrement manger, se retira
de BEAUGUÉ dans Guerre d'Escosse, I, 5
Il en mangeroit autant qu'un evesque en pourroit benir [il en mangerait beaucoup]
de Antoine OUDIN dans Curios. franç.
Il faut travailler qui veut manger
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 311
Qui a faim mange tout pain
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans ib. p. 381
Il y a pourtant des filles qui, lorsqu'elles commencent un peu à sentir leur coeur, elles s'apprivoisent si bien qu'elles viennent manger aussitost dans la main
de Pierre de Bourdeille, seigneur et abbé de BRANTÔME dans Dames gal. t. II, p. 68, dans LACURNE
Monsieur le marechal du Biez entreprint de se saisir et ruiner la terre d'Oye, ayant tenté d'attirer l'Anglois en bataille, lequel n'en voulut manger
de MONLUC dans Mém. t. I, p. 254, dans LACURNE
En mangeant l'appetit se perd
de Randle COTGRAVE dans
En mangeant l'appetit vient
de Randle COTGRAVE dans
Bonne beste s'eschauffe en mangeant
de Randle COTGRAVE dans
Mauvaise est la saison quand un loup mange l'autre
de Randle COTGRAVE dans
Qui a honte de manger a honte de vivre
de Randle COTGRAVE dans
Qui avec son seigneur mange poires, il ne choisit pas les meilleures
de Randle COTGRAVE dans
Un seigneur de paille mange un vassal d'acier
de Randle COTGRAVE dans

ÉTYMOLOGIE

1
Wallon, maniî ; namur. mouniî ; Hain. mégner, migner, mougner ; nivern. mezer ; bourg. maingeai ; provenç. manjar ; catal. menjar ; esp. et portug. manjar ; ital. mangiare. À côté de manger, on trouve non moins usité manjuer, en provençal manjuiar. Ces deux formes montrent qu'il y eut, au moment où se firent les langues romanes, deux prononciations du latin manducare (u long) : l'une correcte gardait l'u long, et a donné manjuer, manjuier ; l'autre fautive supprimait cet u et a donné manger, manjar, mangiare. Manduco est le fréquentatif de mandere, dont l'étymologie probable est ainsi donnée par Corssen, Beiträge, p. 246 : il le rapporte au radical mad, enivrer, être ivre, dont le sens primitif est mouiller, être mouillé ; de là madayâmi, enivrer, rassasier ; de là aussi madeo, madidus, les verbes grecs signifiant se dissoudre, se fondre, et mouiller, mâcher. Mandere, avec insertion de nasale, aurait le même sens : humecter de salive, mâcher, et de là manger.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
Le manger (infinitif pris substantivement), l'action de manger.
Une libéralité n'est pas sitôt en leurs mains qu'ils n'en attendent une autre, comme si le manger leur faisait venir la faim
de François de MALHERBE dans Lexique, éd. L. Lalanne
En Normandie, le manger, ce qu'on mange. Mon manger m'a fait du mal.
2
XIIe s. Ajoutez :
Ciz qui cuidoit valor [valoir] Rolant, Vit son frere maigre et crolant, Bien an cuida maingier tieu quatre, Ocirre lou cuide et abatre
dans Romania, janv. 1877, p. 32

Synonymes de MANGER

Termes proches de MANGER