Définition de OUBLIER
Prononciation : ou-bli-é
DÉFINITIONS
1
N'avoir pas souvenir de. N'oubliez pas que je vous attends.En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelquefois ; mais cela me fait souvenir de ma faiblesse, que j'oublie à toute heure ; ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tends qu'à connaître mon néant
de Blaise PASCAL dans Pens. VI, 48
Qu'il n'y avait sans formalité qu'à vous dire ses intentions, et que vous iriez encore au delà et suppléeriez de vous-même à tout ce qu'il pourrait avoir oublié
Elle [la vérité] est dans les consciences, je dis même dans les consciences des plus grands pécheurs ; mais elle y est souvent oubliée
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix
de Jean RACINE dans Phèdre, II, 2
Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même, Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier, Et goûter le plaisir de me faire oublier
de Jean RACINE dans Esth. I, 1
De ce couple perfide J'avais presque oublié l'attentat parricide
de Jean RACINE dans ib. II, 3
Avez-vous bien promis d'oublier ma mémoire ?
de Jean RACINE dans Bérén. v, 5
Moins de cent quarante ans après, Archimède était déjà si parfaitement oublié de ses citoyens malgré les grands services qu'il leur avait rendus, qu'ils niaient qu'il fût enterré à Syracuse
Il n'y a pas grand mal à être oublié, c'est même souvent un bonheur ; le mal est d'être persécuté
Oublier si vite ce qu'on a aimé, c'est flétrir le passé au moins autant que l'avenir
Il a peur que je n'oublie mon nom, c'est-à-dire il m'appelle sans cesse.
Madame Perrinelle par-ci, madame Perrinelle par-là : elle a peur que j'oublie mon nom, je pense
de Florent Carton, sieur d'Ancourt, dit DANCOURT dans les Vac. SC. 9
Sémantique : Fig. Il a oublié la commission, il a négligé de la faire et il a gardé l'argent.
Avec un infinitif, oublier prend la préposition de.
Je n'oublierai jamais d'avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu'on avait désolée avec la fable du loup et du chien
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Émile, II
Sémantique : Familièrement. Il a oublié d'être bête, se dit d'une personne qui est loin de manquer d'intelligence.
Nature : Absolument. Il apprend facilement et il oublie de même.
On oublie trop et trop vite
2
Ne pas songer à.Il vaut mieux que nous oubliions le passé
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 129
Si j'aime encor Thésée, oublié-je qu'il fuit ?
de Thomas CORNEILLE dans Ariane, V, 5
Que deux coeurs unis sont heureux D'oublier le reste du monde !
de QUIN. dans Rol. III, 2
Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser
de Jean de LA BRUYÈRE dans IV
Le meilleur parti qu'on puisse prendre contre la calomnie, c'est de l'oublier
J'oublie aisément mes malheurs, mais je ne puis oublier mes fautes, et j'oublie encore moins mes bons sentiments
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Conf. VII
Oublier l'heure, laisser passer l'heure où l'on avait quelque chose à faire.
Oublier l'heure, les heures, perdre le sentiment du temps en quelque occupation agréable. On oublie l'heure, les heures à lire, à jouer.
Oublier de, avec un infinitif, manquer à quelque chose par défaut de mémoire.
Je crois que vous n'avez pas oublié aussi d'écrire ou de faire faire un compliment par M. d'Hacqueville à Mme et à M. de Lavardin
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 16 août 1671
Oublier à, même sens.
J'oubliais à vous dire que....
de Vincent VOITURE dans Lett. 167
J'oubliais à remarquer que la prison où je mets Égée est un spectacle désagréable que je conseillerais d'éviter
de Pierre CORNEILLE dans Médée, Examen.
On n'avait point oublié à délibérer sur la principale occupation de l'Académie, sur ses statuts et sur les lettres qu'il fallait pour son établissement
de Paul PELLISSON dans Hist. de l'Acad. I
J'ai oublié à vous dire qu'il y a des Escobar de différentes impressions
de Blaise PASCAL dans Prov. VIII
J'oubliai inhumainement, contre l'ordinaire des grand'mères, à vous parler de ma petite d'Aix
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 1680
Je crois que vous n'avez pas oublié à remercier Dieu
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 16 août 1671
Oublier à, se dit ou plutôt s'est dit (car cette locution vieillit) pour perdre l'habitude de quelque chose. Si vous ne lisez jamais, vous finirez par oublier à lire.
Le trouble de vos sens dont vous n'êtes plus maître Vous a fait oublier, seigneur, à me connaître
de Pierre CORNEILLE dans Sophon. IV, 5
3
Laisser par inadvertance. Il a oublié sa canne.4
Omettre, ne pas faire mention de. Il a oublié une citation importante.Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée
de Esprit FLÉCHIER dans Turenne.
5
Négliger.Pour elle contre vous qu'ai-je oublié de faire ?
de Thomas CORNEILLE dans Ariane, I, 4
L'Égypte n'oubliait rien pour polir l'esprit, ennoblir le coeur, et fortifier le corps
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. III, 3
Je voudrais qu'elle [une affaire] fût perdue, à condition que celles de Jouarre prissent fin ; je n'y oublierai rien
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Lett. abb. 61
Ils [les Romains] n'oublièrent rien pour avoir des chevaux numides, des archers crétois, des frondeurs baléares, des vaisseaux rhodiens
6
Laisser de côté. Il oubliait sa grandeur.Vous avez oublié vos plus justes prétentions, quand il a fallu donner des marques de votre zèle et de votre foi
de Louis BOURDALOUE dans Myst. Résurrect. de J. C. t. I, p. 362
7
Manquer à, se mettre hors.M. de Pompone n'était pas de ces ministres sur qui une disgrâce tombe à propos, pour leur apprendre l'humanité, qu'ils ont presque tous oubliée
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 22 nov. 1679
On avait oublié pour ces étrangers jusqu'à cette politesse singulière qui distingue notre nation
de Esprit FLÉCHIER dans Lamoignon.
On se plaint qu'oubliant son sang et sa promesse, Il élève en sa cour l'ennemi de la Grèce
de Jean RACINE dans Andr. I, 1
Tes prières m'ont fait oublier mon devoir
de Jean RACINE dans Phèdre, IV, 6
Ne point conserver de reconnaissance.
Oui, je vous ai promis et j'ai donné ma foi De n'oublier jamais tout ce que je vous doi
de Jean RACINE dans Bajaz. III, 5
Oublie tous mes services passés, regarde-moi comme un traître, et punis-moi de tous les crimes que je n'ai pu empêcher
Ne point garder de ressentiment.
Dans des fautes si sincèrement reconnues et dans la suite si glorieusement réparées par de fidèles services, il ne faut plus regarder que l'humble reconnaissance du prince qui s'en repentit, et la clémence du grand roi qui les oublia
Le bonheur de te voir me fait tout oublier
Nature : Absolument.
Fontenelle, qui, par modération ou par prudence, ne se vengeait jamais et se plaignait rarement, oubliait encore moins
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Éloges, Despréaux.
8
En parlant des personnes, négliger quelqu'un, ne pas agir envers lui comme on le devrait.Il est vrai qu'on oublie bientôt les gens qui se sont dépouillés
Sémantique : Par forme de reproche obligeant. Vous ne venez plus nous voir, vous nous oubliez.
N'oubliez pas les pauvres, les malades, les besoins de l'église, espèce de formule qui s'emploie à l'église, quand on quête pour les pauvres, pour l'oeuvre, pour les besoins de l'église.
9
Oublier qui l'on est, se méconnaître, vouloir, par orgueil, s'élever au-dessus de sa condition.On dit aussi : vous oubliez qui je suis, c'est-à-dire vous n'avez pas pour moi les égards que vous me devez.
Agamemnon : Oubliez-vous ici qui vous interrogez ? - Achille : Oubliez-vous qui j'aime et qui vous outragez ?
de Jean RACINE dans Iphig. IV, 6
10
S'oublier, Nature : v. réfl. Perdre le souvenir de soi-même.De cette étude opiniâtre Quel charme le rend idolâtre ? C'est qu'il s'oublie, et c'est assez
de LAMOTTE dans Odes, t. I, p. 284, dans POUGENS
Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême, Mânes chéris de quiconque a des pleurs ; Vous oublier c'est s'oublier soi-même : N'êtes-vous pas un débris de nos coeurs ?
de Alphonse de LAMARTINE dans Harm. II, 1
11
Être oublié.Cette affaire me parut si médiocrement bonne, que je souhaitai qu'elle s'oubliât tout à fait
de STAAL dans Mém. t. III, p. 171
Il [un scandale] fut bientôt oublié, comme tout s'oublie
Malesherbes, Turgot, ô vous en qui la France Vit luire hélas ! en vain, sa dernière espérance, Ministres dont le nom ne s'est point oublié
de André CHÉNIER dans Hymne à la France.
12
Ne plus penser à l'heure, à ce qu'on fait.Heureux cent fois l'auteur avec qui l'on s'oublie !
de LAMOTTE dans Odes, t. I, p. 335, dans POUGENS
Ils s'oublient quelquefois chez Mlle l'Espinasse
de Jean-François MARMONTEL dans Mém. VII
Mais je m'oublie tout en causant ; il est midi ; j'ai vingt personnes à déjeuner qui doivent être arrivées à présent
de Stéphanie Félicité Ducrest de St-Albin, comtesse de GENLIS dans Théât. d'éduc. l'Enfant gâté, I, 1
13
Perdre le souci, le soin de soi-même.Absorbé tout en toi par un parfait amour, Je m'oublierai moi-même et fuirai tout le reste
de Pierre CORNEILLE dans Imit. IV, 13
Que dis-je ? en ce moment mon coeur hors de lui-même S'oublie et se souvient seulement qu'il vous aime
de Jean RACINE dans Bérén. IV, 5
Il faut s'oublier entièrement quand on veut instruire les hommes, et n'avoir en vue que la vérité
Sémantique : Particulièrement. Négliger le soin de ses propres intérêts. Il ne s'est pas oublié.
Et je dois d'autant moins oublier sa vertu, Qu'elle-même s'oublie
de Jean RACINE dans Esth. II, 3
Il s'oublie lui-même pour se sacrifier au bien public
Nous avons oublié M. Abauzit ; ah ! dites, méchant ami ! cet homme respectable qui passe sa vie à s'oublier soi-même, doit-il être oublié des autres ?
14
Faire avec négligence.Si le peintre ne se fût pas oublié dans le petit paysan, les raisins n'eussent pas eu ce succès prodigieux
de Bernard le Bouyer de FONTENELLE dans Athénaïs.
15
Manquer à ce que l'on doit aux autres ou à soi-même.Une grande princesse à ce point s'oublier, Que d'admettre en son coeur un simple cavalier !
de Pierre CORNEILLE dans Cid, I, 3
David s'oublie pour un peu de temps
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. II, 4
Le roi blâma le premier président en le taxant d'impertinent qui s'oubliait
Dès qu'on a oublié la dignité de son état, on s'oublie bientôt soi-même
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Confér. Man. dont les clercs doivent se cond. dans le monde
Sortez, Lucinde ; quand de grands seigneurs s'attachent à de petites créatures comme vous, elles ne doivent pas pour cela s'oublier
À cet indigne mot je m'oublierais peut-être
Il s'oublia jusqu'à présenter un mémoire au sénat pour me faire arrêter
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Confess. VII
16
Devenir vain, orgueilleux. Les parvenus s'oublient aisément.Il faut s'oublier soi-même pour cela [les grandeurs], et croire qu'on a quelque excellence réelle au-dessus d'eux [les inférieurs]
de Blaise PASCAL dans Condition des grands, I
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie : Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. IV
Les ennemis offensés de sa gloire.... En leur fureur de nouveau s'oubliant
de Jean RACINE dans Poés. div. Idylle sur la paix.
Polyphonte, abusant de mon triste destin, Ose enfin s'oublier jusqu'à m'offrir sa main
17
On a dit, dans le XVIIe siècle, s'oublier de, ne plus songer à, emploi qui a vieilli.De mon propre néant jamais ne m'oublier
de Pierre CORNEILLE dans Imit III, 21
Et, s'oubliant de ce qu'il est en lui-même, il [un grand, flatté] se va chercher dans les discours des autres, et s'imagine être tel que la flatterie le représente
Que les sciences humaines s'oublient de leur dignité, jusqu'à n'avoir plus d'usage que dans le commerce, ce n'est pas à moi, chrétiens, de le déplorer dans cette chaire
On a dit aussi dans le même sens : s'oublier que.
La bravoure l'a emporté sur la prudence, et l'on s'est oublié que l'on était capitaine pour faire le métier de soldat
de Esprit FLÉCHIER dans Réflex. sur les diff. caract. des hommes, 1
PROVERBES
1
Exemple : Il n'oublie pas ses mains, se dit d'un homme qui vole ou qui exige.2
Exemple : Est bien fou qui s'oublie, c'est-à-dire c'est une folie de ne pas songer à soi.HISTORIQUE
1
XIe s.L'enseigne [de] Charle n'i devons ublier
dans Ch. de Rol. X
2
XIIe s.Geofroiz d'Anjou ne s'est pas oblié [n'a pas oublié ce qu'il avoit à faire]
dans Ronc. p. 166
Quant jà pour riens qui soit née N'oublierai ceste honor
dans Couci, I
Pour ce n'ai-je mie oublié à aimer bien et loiaument
dans ib. p. 121
....Baudoin, garde-toi ; Trop te puez oblier avec fame de roi
dans Sax. I, p. 120
E à un hospital à dous liwes de là, à heberchier les povres li reis ne s'ublia ; Kar de rente à cel liu par an cent sols dona
dans Th. le mart. 159
3
XIIIe s.Et Symons passe avant [s'avance], mie ne s'oublia
dans ib. CXXXI
Diex, qui n'oublie pas les siens
dans Chr. de Rains, p. 43
Et por la joie convient lors Que li cuers oblit ses dolors, Et les tenebres où il iere [était]
dans la Rose, 2754
Je vous avoie oublié à dire que, quant le comte de Japhe fu descendu, il fist tendre ses paveillons
de Jean, PRINCE DE JOINVILLE dans 215
4
XVe s.Car je voy bien, qui aime à tart oublie
de Eustache DESCHAMPS dans Poésies mss. f° 366
Allez, n'oubliez pas à boire, Si vous trouvez Martin garant
dans Patelin
En cette compaignie ne s'oublia pas le bon Bouciquaut, qui moult envis eust demeuré derriere
dans Bouciq. I, 11
Tout oublié devint, sa maladie luy osta la memoire
dans Gerard de Nevers, p. 88, dans LACURNE
Les personnes qui en la place estoient, avoient comme tout oublyé leur memoire, car il ne leur souvenoit fors que ce qu'ilz veoient
dans Perceforest, t. II, f° 117
5
XVIe s.Au milieu des tormens, oubliant ma douleur, Je me resjouïray de voir vostre malheur
de Joachim DU BELLAY dans III, 74, verso.
Celles que forte amour a fait oublier [s'oublier]
de Marguerite de Navarre, dite aussi de Valois, ou d'Angoulême, reine de Navarre dans Nouv. XLIX.
Je m'y plaisois, mais je ne m'y oubliois pas
de Michel de MONTAIGNE dans III, 379
Il avoit ouï dire qu'il se falloit oublier pour le prochain
de Michel de MONTAIGNE dans IV, 150
Quand on les jette, comme on dit, avec les pechez oubliez
Il s'en oublia [il oublia sa promesse] ou n'osa
de Vincent CARLOIX dans III, 1
Encores s'oublierent ils d'ung merveilleux advantaige qu'ils avoient sur nous
de Vincent CARLOIX dans III, 22
Il s'oublia jusques à dire des paroles presomptueuses, et user de fieres menaces
de Jacques AMYOT dans Cat. d'Utiq. 37
S'ils ont envie de fourvoyer, qui les redressera ? s'ils s'oublient, qui les corrigera ?
de Jacques AMYOT dans Mor. épît. 4
ÉTYMOLOGIE
1
Bourg. obliai ; Berry, oblier, obelier ; provenç. oblidar ; espagn. olvidar ; ital. obbliare ; d'un verbe fictif oblitare, fait du supin oblitum, de oblivisci, oublier, qui vient de ob, et d'un radical liv que Corssen, Nachtr. p. 34, rattache à livor, livere, lividus ; oblivisci signifierait donc pâlir, s'obscurcir. HORACE, Odes, IX, 30, a dit lividas obliviones.