Définition de SANS

DÉFINITIONS - REMARQUE - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : san ; l's se lie : san-z un sou

DÉFINITIONS

1
Il marque le manque, l'exclusion. Cet homme est mort sans enfant, sans héritier, ou sans enfants, sans héritiers. Cet enfant a fait un exercice sans faute ou sans fautes. C'est un acteur sans défaut ou sans défauts. Ce que vous dites là est sans exemple.
Bérénice la belle, Qui semble contre amour si fière et si cruelle, Me dit tout franchement en pleurant, l'autre jour, Qu'elle était sans amant, mais non pas sans amour
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Dial. Chloris et Philis.
Sépare tes présents, et ne m'offre aujourd'hui Que ton fils sans le sceptre ou le sceptre sans lui
Seigneur, lui dis-je, jusqu'à quand durera votre colère ? Jusqu'à ce, dit-il, que les villes soient désolées et sans citoyens, les maisons sans habitants, et que la terre demeure déserte
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Isaïe, VI, 11
Eh bien ! gageons tous deux, Dit Phébus, sans tant de paroles
M. du Maine assure que cet Anglais [Law] est un homme sans honneur, sans religion et sans foi
Benjamin est sans force, et Juda sans vertu
L'on parle d'une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans moeurs ni politesse
de Jean de LA BRUYÈRE dans VIII
Il [Boerhaave] n'avait que quinze ans quand la mort de son père le laissa sans secours, sans conseil, sans bien
de Bernard le Bouyer de FONTENELLE dans Boerhaave.
Une vie molle, délicieuse, sans vices ni vertus
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Mauv. riche.
Don Vincent était un vieux seigneur fort riche, qui vivait depuis plusieurs années sans procès et sans femme
On vit des troubles sans cause et des révolutions sans motifs
Son château [du président de Brosses] était une masure faite pour des hiboux..... des vignes sans raisin, des campagnes sans blé, et des étables sans vache
Par lui [Jésus] les yeux verront les dangers sans horreur, La douleur sans faiblesse, et la mort sans terreur
Je le sais bien sans vous, sans qu'il soit besoin que vous me le disiez.
Ne me contez point tant que mon visage est beau... Je le sais bien sans vous
de Pierre CORNEILLE dans Galer. du Palais, II, 1
2
Il se met, avec le même sens, devant un infinitif.
Ce triste et fier honneur m'émeut sans m'ébranler
Il y a des gens si remplis d'eux-mêmes que, lorsqu'ils sont amoureux, ils trouvent moyen d'être occupés de leur passion, sans l'être de la personne qu'ils aiment
Il ne sert de rien d'être jeune sans être belle, ni d'être belle sans être jeune
Dumarsais, sans être aussi modeste que l'abbé Girard, ignorait encore plus que lui les moyens de se procurer les honneurs littéraires
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Éloges, Girard.
Sans mentir, en vérité.
Sans mentir, Dieu est bien abandonné
de Blaise PASCAL dans dans COUSIN
3
Il se met assez souvent au commencement des phrases. Sans argent, sans protecteurs, que pouvais-je faire ? Sans vous, je n'aurais pas réussi.
Sans effort et sans bruit, il savait faire les grandes choses
Sans la bataille de Chéronée, Démosthène eût sauvé la Grèce
de Jean-François MARMONTEL dans Oeuvr. t. IX, p. 203
4
Sans quoi, sans cela, autrement, sinon. Vous ferez cela, sans quoi vous serez puni. Partez à l'instant même, sans cela vous serez en retard.
5
Sans entre dans la composition de plusieurs locutions adverbiales : sans doute, sans fin, sans façon, sans faute, sans crainte, etc.
Peut-on haïr sans cesse ? et punit-on toujours ?
6
Sans plus, sans qu'il y en ait davantage.
La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte : Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour
Je me suis présenté [à l'Académie], mais une fois sans plus, messieurs
7
Sans plus avec un infinitif, non davantage.
Et je m'en vais pleurer leurs faveurs meurtrières [des dieux], Sans plus les fatiguer d'inutiles prières
Et sans plus me charger du soin de votre gloire
8
Sans que, locut. conjonct. avec le subjonctif.
Des dignités, des biens que jusqu'au bout du monde On suit, sans que l'effet aux promesses réponde
Je rendrais mon ouvrage Capable de sentir, juger, rien davantage, Et juger imparfaitement, Sans qu'un singe jamais fît le moindre argument
Le compère aussitôt va remettre en sa place L'argent volé ; prétendant bien Tout reprendre à la fois sans qu'il y manquât rien
de Jean de LA FONTAINE dans ib. X, 15
Je prends pour principe que jamais un corps ne se meut par son poids sans que son centre de gravité descende
de Blaise PASCAL dans Équil. des liqueurs, II
Hélas ! nous ne pouvons arrêter un moment les yeux sur la gloire de la princesse, sans que la mort s'y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre
Il se laissa gronder sans qu'il en fût autre chose
Les puissances établies par le commerce.... s'élèvent peu à peu, et sans que personne s'en aperçoive
9
Sans peut se construire avec que, qui prend le sens de sinon.
Je pensai qu'il valait mieux que j'examinasse seulement ces proportions en général, et sans les supposer que dans les sujets qui serviraient à m'en rendre la connaissance plus aisée
Sachant combien de divers automates ou machines mouvantes l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces
de René DESCARTES dans ib. V, 9
Sans songer qu'à me plaire, exécutez mes lois
Il recevra des voeux, de l'encens, des victimes, Sans recevoir par là d'honneurs que légitimes
Mille petits amours sont venus voltiger à l'entour d'elle à fleur d'eau, sans mouiller que la pointe de leurs pieds
de D'ABLANCOURT dans Lucien, Dial. Notus et Zéphyre.
Sans avoir, en aimant, d'objet que son amour
Et sans parler que des gains licites, on paye au tuilier sa tuile
de Jean de LA BRUYÈRE dans XII
Harlay était sans moeurs dans le secret, sans probité qu'extérieure
10
Sans que, avec l'indicatif ou le conditionnel, signifie : n'eût été que, n'était que, sans cette raison, sans ce fait, sans cette considération (cette locution, très usitée au XVIIe siècle, ne l'est plus maintenant, mais rien n'empêcherait de la reprendre).
Sans que je crains de commettre Géronte, Je poserais tantôt un si bon guet, Qu'il serait pris ainsi qu'au trébuchet
de Jean de LA FONTAINE dans Confid.
Sans que mon bon génie au devant m'a poussé, Déjà tout mon bonheur eut été renversé
Je suis si lasse de cette chienne d'écriture, que, sans que vous croiriez mes mains plus malades, je ne vous écrirais plus que je ne fusse guérie
J'en prendrais présentement [d'une essence], sans que je me ferais scrupule de me servir d'un remède si admirable, quand je n'en ai nul besoin
Vous m'avez écrit la plus aimable lettre du monde ; j'y aurais fait plus tôt réponse, sans que j'ai su que vous couriez par votre province
Marlbourough mande à Villars qu'il l'eût attaqué le 10 juin, sans que le prince Louis de Bade, au lieu d'arriver le 9, n'était arrivé que le 15

REMARQUE

1
1. Avec sans, la règle est que l'infinitif se rapporte au sujet de la proposition ou au régime ; mais cela n'est pas absolument nécessaire quand une équivoque est impossible, et le vrai sens évident.
Que l'on cherche partout mes tablettes perdues ; Mais que, sans les ouvrir, elles me soient rendues
de QUIN. dans Cyrus, I, 5
Il aurait beau crier : " Premier prince du monde ! Courage sans pareil ! lumière sans seconde ! " Ses vers, jetés d'abord sans tourner le feuillet, Iraient dans l'antichambre amuser Pacolet
2
2. Les grammairiens ont condamné la locution : sans pas ou sans point, et critiqué cette phrase de Montesquieu : César avait de grandes qualités sans pas un défaut, Rom. 11. Mais, pas et point étant non des négations, mais des mots qui renforcent la négation, il n'y a aucune raison grammaticale pour condamner cette manière de parler.
3
3. La préposition sans reçoit également après elle ni ou et entre deux régimes ; mais dans ce dernier cas on répète sans : Sans crainte ni pudeur, sans force ni vertu ; sans crainte et sans pudeur, sans force et sans vertu. La raison de cette différence, c'est que sans est exclusif par lui-même, et que ni l'est aussi, ce qui fait que ce dernier peut suppléer sans ; au lieu que et, n'ayant pas le même caractère, ne dit pas ce que sans doit dire, ce qui oblige à le répéter.
4
4. Lorsque sans précède immédiatement un verbe, ce verbe doit-il être suivi de l'article contracté du, ou bien de la préposition de sans article ? Doit-on dire : asseoir des impôts sans exciter de plaintes, comme on dirait : en n'excitant pas de plaintes ; ou faut-il dire : sans exciter des plaintes ? Quand la tournure de phrase est affirmative, on omet l'article :
Ce sont des libertés où l'on s'abandonne sans y penser de mal
Tout sans faire d'apprêts s'y prépare aisément
5
5. Sans que, suivi du subjonctif, ne prend ne, ni quand la phrase principale est affirmative, ni quand elle est négative.
La négation n'est pas même admise après sans que suivi de ni, aucun, personne, rien, jamais : Je reçus et je vois le jour que je respire Sans que père ni mère ait daigné me sourire
Ces cris de toute une armée [lors de la mort de Turenne] ne se peuvent pas représenter, sans que l'on n'en soit ému

HISTORIQUE

1
XIe s.
Seinz hume mort [la bataille] ne poet estre achevée
dans Ch. de Rol. CCLX
2
XIIe s.
Lors [ils] se plaignent sans dolor
dans Couci. L
Cil qui servent sans traïr
dans ib. III
Grans fust ma joie et ma peine legere Sans point de mescheoir
dans ib. XVIII
De lait, de bure et de peison Vivent et de la veneison, Dont mult il prennent e sen peine
de Benoît de Sainte-Maure dans I, V.291
Il veoit bien, san le roi, ne se pooit metre pais en ses choses
dans Machab. II, 4
3
XIIIe s.
Comment osas, sains mon congié, En ma cité metre ton pié ?
dans Partonop. V. 1149
[Votre père] Qui vous amoit de cuer sans nul point de faintise
dans Berte, C
Nus [nul] ne s'en retourna Fors que Morant sans plus
dans ib. CVIII
4
XVe s.
La porte fut ouverte, et y entrerent les Gantois, sans ce que nul mal y fissent
Et que chacun prist sans plus un pain et le troussast derriere lui
Par montagnes, par vallées, sans point de plein pays
Et sans moyen [sans intervalle, immédiatement] estoit devant luy le filz au roy de Navarre
Et parlerent eulx deux ensemble grant pieche, sans ce qu'il y eust nulz de leurs gens qui les peust ouïr
de FENIN dans 1416
Grandes dissentions..... y avoit..... specialement entre les gens, pour le faict des aydes et finances qu'on exigeoit sur le peuple, sans ce que comme point rien en feust mis au bien de la chose publique
de Jean JUVÉNAL DES URSINS dans Charles VI, 1391
Sire chevalier, dist la pucelle, estes vous Gadiffer qui entreprint l'adventure de la roide montaigne ? Par ma foy, damoiselle, ce suis je sans autre et pour vray
dans Percefor. t. III, f° 61
5
XVIe s.
La vie humaine est environnée et quasi assiegée de miseres infinies, sans aller plus loin, puisque nostre corps est un receptacle de mille maladies.....
Nostre silence n'est pas sans ingratitude, si nous passons aucune de ses graces [de Dieu] sans louange
de Jean CALVIN dans ib. 706
Mais quelque dieu, ou quelque astre irrité M'a, sans avoir ce malheur merité, De vous ouïr la puissance ravie
Mais sy se maine l'affaire dont tant vous m'avez asseurée, d'une sorte que, sans avoir [si je n'avais] la parole du roy et vostre promesse, j'aurois bien occasion de m'ennuyer
Ils entendent bien que, sans [à moins de] avoir paix à vous, ils sont si mal que plus ne peuvent
Sans mentir, voilà des hommes bien sauvages
de Michel de MONTAIGNE dans I, 204
Il emplit la ville de Rome de meurtres sans fin et sans nombre
de Jacques AMYOT dans Sylla, 65
Je mourrois, sans aimer [si je n'aimais] leur gentille lumiere Qui m'embraza le coeur d'une flame premiere
de Pierre de RONSARD dans 805
L'homme vit aisement en ce mortel sejour Sans avoir un royaume, et non pas sans amour
de Pierre de RONSARD dans 807

ÉTYMOLOGIE

1
Wallon, sai ; picard, sins ; provenç. sens, senes, ses ; ancien cat. senes ; cat. moderne sens ; ancien espagn. senes, sen ; espag. moderne, sin ; portug. sen, sem ; ital. senza. Les formes sans s dans le vieux français, dans les patois et dans plusieurs langues romanes, viennent du latin sine, que les étymologistes regardent comme provenant du préfixe se, sed, qui signifie séparation (proprement, à part soi, s(, s(d étant l'ablatif du pronom réfléchi), et de ne sur lequel les étymologistes disputent (voy. Journ. de Kuhn, XIX, 163). Les formes avec s, qui sont aussi fort anciennes, représentent un latin barbare sinis, formé sur le modèle de certains adverbes. Enfin l'italien senza, que des étymologistes ont rattaché à absentia, ne paraît pas devoir être séparé des autres formes romanes ; mais il ne s'explique guère. Sans que s'explique, comme l'historique le fait voir, par sans ce que.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
Sans, employé d'une manière absolue et sans régime.
La perruque [de Louis XIV] était la seule pièce, dit-on, qui tînt bon contre le déshabillé ; personne ne l'avait jamais vu sans
de STE-BEUVE dans Portraits contemporains, t. I, p. 372, nouv. édit. Paris, 1870

Synonymes de SANS

Phonétiquement proche de SANS