Définition de MALHEUR

DÉFINITIONS - PROVERBES - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE -

Prononciation : ma-leur

DÉFINITIONS

1
Mauvaise destinée. Le malheur le poursuit. Tomber dans le malheur.
Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, Qui les rend ennemis du repos où nous sommes ; La plupart de leurs voeux tendent au changement
de François de MALHERBE dans II, 1
On appréhende tout étant dans le malheur
de François L'Hermite, sieur du Soliers, dit TRISTAN L'HERMITE dans Mort de Chrispe, II, 3
Le malheur succède au bonheur le plus doux
de Pierre CORNEILLE dans Hor. V, 2
.... Mais dieux ! que vois-je ! ô ciel ! je suis perdu, Si j'ai tant de malheur qu'elle m'ait entendu
de Pierre CORNEILLE dans la Toison d'or, III, 3
Enfin, n'en pouvant plus d'efforts et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. I, 16
Rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans Dieu
de Blaise PASCAL dans Pens. IX, 1, éd. HAVET.
Le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près
de Blaise PASCAL dans ib. IV, 2
J'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre
de Blaise PASCAL dans ib.
Quand je songe à mon personnage, je crains toujours d'avoir des amis : il y a un malheur attaché à tout ce que je protége
de Françoise d'Aubigné, marquise de MAINTENON dans Lett. à Mme de Caylus, 5 fév. 1717
Titus, pour mon malheur, vint, vous vit et vous plut
de Jean RACINE dans Bérén. I, 4
Le malheur des temps, les funestes conditions qu'une époque impose.
Il en est [des crimes] quelquefois où des coeurs magnanimes Par le malheur des temps se laissent emporter
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Marianne, I, 2
Jouer de malheur, n'avoir aucune chance favorable au jeu.
Sémantique : Fig. Jouer de malheur, éprouver une contrariété qui résulte du hasard. Je suis venu deux fois chez vous sans vous trouver, j'ai joué de malheur.
Être en malheur, avoir une mauvaise veine, au jeu ou en toute autre chose.
Elle [Mme de Ludres] passa une nuit dans les champs, en faisant ce petit voyage, par un carrosse rompu, et tout ce qui arrive quand on est en malheur
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 23 juin 1677
Les puristes du XVIIe siècle condamnaient la locution être en malheur, et voulaient qu'on dît : j'ai bien du malheur
de MARG. BUFFET dans Observ. p. 51, 1668
Porter malheur, se dit d'une personne ou d'une chose qui est censée causer du malheur.
Je porte malheur aux affaires que je manie
de Jean-Louis GUEZ de BALZAC dans liv. VII, lett. 52
Tant il [Arnauld] porte de malheur aux opinions qu'il embrasse !
de Blaise PASCAL dans Prov. III
Hector : Vous devriez pourtant, en fonds comme vous êtes.... - Valère : Rien ne porte malheur comme payer ses dettes
de Jean-François REGNARD dans le Joueur, III, 8
Oh ! je porte malheur à tout ce qui m'entoure
de Victor HUGO dans Hernani, III, 4
Avoir le malheur de, avoir la mauvaise chance de.
Ceux qui auront le malheur d'être vos voisins
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans Tél. XX
Avoir le malheur de, est quelquefois un euphémisme pour dire : être assez mal doué.
Il [Marivaux] avait le malheur de ne pas estimer beaucoup Molière, et le malheur plus grand de ne pas s'en cacher
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Élog. Mariv.
Sémantique : Familièrement. De malheur, se dit avec un substantif pour exprimer la crainte, l'aversion.
Ce greffier de malheur est avec elle
de Florent Carton, sieur d'Ancourt, dit DANCOURT dans Vacances, sc. 7
Pour le malheur de, au dommage de.
L'Académie française est l'objet de l'ambition secrète ou avouée de presque tous les gens de lettres, de ceux même qui ont fait contre elle des épigrammes bonnes ou mauvaises, épigrammes dont elle serait privée pour son malheur, si elle était moins recherchée
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Préface des éloges.
2
Nature : Absolument. Le malheur, l'ensemble de la mauvaise destinée.
Le malheur ne sortira jamais de la maison de celui qui rend le mal pour le bien
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Prov. de Salom. XVII, 13
J'ai cru dans la retraite éviter mon malheur ; Le malheur est partout ; je m'étais abusée
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Olymp. II, 2
Le temps ne détruit que la fraîcheur et la beauté ; le malheur change l'expression de la physionomie
de Stéphanie Félicité Ducrest de St-Albin, comtesse de GENLIS dans Veillées du château t. II, p. 398, dans POUGENS
Le malheur est moins dur à supporter qu'à craindre
de Jean-François DUCIS dans Oscar, I, 2
Le malheur est rapide, et le coeur, tout faible qu'il est, ne doit pas se méprendre aux signes funestes d'une destinée irrévocable
de Anne Staël-Holstein, dite Mme DE STAËL dans Corinne, XIV, 4
Les paroles, prononcées [par Napoléon] devant deux de ses généraux, étaient écoutées avec ce silence commandé par un ancien respect, auquel se joignait déjà celui qu'on devait au malheur
de Philippe de SÉGUR dans Hist. de Nap. IX, 8
Les gens malheureux.
Le malheur a sa honte et sa noble pudeur
de Jacques DELILLE dans Pitié, I
Sémantique : Poétiquement. Le malheur personnifié comme une sorte de divinité.
Il dit : comme un vautour qui plonge sur sa proie, Le malheur, à ces mots, pousse en signe de joie Un long gémissement, Et, pressant l'univers dans sa serre cruelle, Embrasse pour jamais de sa rage éternelle L'éternel aliment
de Alphonse de LAMARTINE dans Méd. I, 7
3
Événement fâcheux.
J'ai cru sa mort pour vous un malheur nécessaire
de Pierre CORNEILLE dans Pomp. III, 2
La France le vit alors accompli par ces derniers traits et avec ce je ne sais quoi d'achevé que les malheurs ajoutent aux grandes vertus
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Louis de Bourbon.
Maintenant qu'elle a préféré la croix au trône, et qu'elle a mis ses malheurs au nombre des plus grandes grâces
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Reine d'Anglet.
Quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans ib.
Si aujourd'hui je me vois contraint de retracer l'image de nos malheurs [les troubles de la Fronde]
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans le Tellier.
Les malheurs sont souvent enchaînés l'un à l'autre
de Jean RACINE dans Esth. III, 1
Que tu seras heureux si tu surmontes tes malheurs et si tu ne les oublies jamais !
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans Tél. II
Pour achever les malheurs de la Suède, son roi s'obstinait à rester à Démotica [en Turquie]
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Charles XII, 7
Et c'est nous trop souvent qui faisons nos malheurs
de Marie-Joseph CHÉNIER dans Fénel. III, 2
Le malheur qui n'est plus n'a jamais existé
de Marie-Joseph CHÉNIER dans ib. V, 2
Ici c'est ce vieillard que l'ingrate Ionie A vu de mers en mers promener ses malheurs
de Alphonse de LAMARTINE dans Méd. I, 14
Il arrivera malheur, se dit pour suggérer des craintes au sujet de quelque événement.
Il arrivera malheur, vous dis-je, si vous n'y mettez la main
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Lett. d'Argental, 4 mai 1772
Faire le malheur de, rendre malheureux. Cet homme a fait le malheur de sa famille.
Cette beauté [Hélène] qui avait fait le malheur de tant d'hommes
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans Tél. VIII
Sémantique : Familièrement. Faire un malheur, causer un accident,
C'est un malheur, il est fâcheux.
C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres
de VAUVENARGUES. dans Max. CCLXXXI
Ironiquement et familièrement. Le grand malheur, c'est-à-dire il n'y a pas grand mal.
Voyez le grand malheur ! quel tort cela vous fait-il ?
de CHAMPFORT dans Marchand de Smyrne, sc. 6
4
Malheur à, sorte d'imprécation.
Malheur au temple, malheur à la ville [Jérusalem], malheur à tout le peuple ! À la fin il ajouta : malheur à moi-même ! et en même temps il fut emporté d'un coup de pierre lancée par la machine
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. II, 8
Malheur à la créature qui se plaît en elle-même et non pas en Dieu !
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans ib. II, 1
Ah ! chrétiens, les grandes vérités ! malheur à qui ne les croit pas ; malheur à qui les croit et qui vit comme s'il ne les croyait pas !
de Louis BOURDALOUE dans Myst. Résurrect. de J. C. t. I, p. 350
Malheur à vous, riches avares ; malheur à vous, riches injustes ; malheur à vous, riches orgueilleux ; malheur à vous, riches insensibles !
de Louis BOURDALOUE dans Myst. Nativité de J. C. t. I, p. 20
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue Engage un peu trop tard au détour d'une rue [dans Paris] !
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. VI
Malheur aux coeurs ingrats et nés pour les forfaits, Que les douleurs d'autrui n'ont attendri jamais !
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Alz. II, 2
On le met aussi avec la préposition sur. Malheur sur eux et sur leurs enfants !
Malheur aux vaincus ! c'est-à-dire les vaincus doivent subir la loi du vainqueur (c'est le vae victis que l'histoire met dans la bouche de Brennus vainqueur des Romains).
Sémantique : Par extension. Malheur aux vaincus ! tant pis pour ceux qui souffrent de quelque accident ou malheur auquel d'autres échappent.
Malheur ! s'emploie encore absolument comme exclamation.
Malheur ! c'est mon neveu ! malheur ! car si Roland Appelle à son secours, ce doit être en mourant
de Alfred DE VIGNY dans le Cor.
Malheur ! tous nos forfaits l'appellent, Tous les signes nous le révèlent, Le jour des arrêts solennels !
de Victor HUGO dans Odes, I, 9
5
Par malheur, Nature : loc. adv. Par l'effet d'un accident, d'un hasard malheureux.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur Découvrit la fourbe et l'erreur
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. V, 21
Et c'est [le roi de Prusse] un autre Cideville [un ami de Voltaire], Qui par malheur est couronné
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Lett. en vers et en prose, 76

PROVERBES

1
Exemple : À quelque chose malheur est bon, c'est-à-dire quelquefois une infortune nous procure des avantages que nous n'aurions pas eus sans elle.
Quand le malheur ne serait bon Qu'à mettre un sot à la raison, Toujours serait-ce à juste cause Qu'on le dit bon à quelque chose
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. VI, 7
2
Un malheur amène son frère ou ne vient jamais seul.
3
Exemple : Le malheur ou le diable n'est pas toujours à la porte d'un pauvre homme, c'est-à-dire la chance finit par se lasser d'être défavorable.
4
Exemple : Il n'y a qu'heur et malheur en ce monde, c'est-à-dire il y a des gens qui réussissent là où d'autres se perdent.

HISTORIQUE

1
XIIIe s.
En mal eür, dist Refrangiers, Trop par estes adès maniers [habile]
dans Ren. 2545
2
XVIe s.
Se ung malheur sur un homme se boute, L'aultre est à l'huys qui la sortie escoute
de Jean des Mares ou Des Marets, dit Jean MAROT dans p. 166, dans LACURNE
L'heur que j'avois s'est tourné en maleur : Malheureux est qui n'a aucun confort
de Clément MAROT dans II, 235
16 800 escus, qui n'est pour un roy que quatre parties perdues à la paume, ou un malheur de deux heures au jeu de premiere
de Francois LANOUE, dit Lanoue Bras de Fer dans 281
Pour neant recule qui malheur attend
de Randle COTGRAVE dans
Un fol cerche son malheur
de Randle COTGRAVE dans
Bienheureux le malheur qui croist la renommée !
de Philippe DESPORTES dans Amours d'Hippolyte, 19, Élégie.

ÉTYMOLOGIE

1
Mal, et heur (voy. HEUR) ; prov. malahur. L'ancienne langue avait le mot malheurté, très usité.

Synonymes de MALHEUR

Termes proches de MALHEUR