Définition de JUGE
Prononciation : ju-j'
DÉFINITIONS
1
Celui qui juge, qui a le droit et l'autorité de juger. Les jurés ne sont juges que du fait. Dieu le souverain juge. L'Église est juge des choses de la foi.La Syrie à vos lois est-elle assujettie Pour souffrir qu'une femme y soit juge et partie ?
de Pierre CORNEILLE dans Théod. V, 7
Que je vous fasse vous-même le juge de votre propre cause
de Louis BOURDALOUE dans Jugem. dern. 1er avent, p. 84
Les rois, en des siècles plus innocents, furent autrefois eux-mêmes les juges du peuple
de Esprit FLÉCHIER dans Lamoign.
Mais vous avez pour juge un père qui vous aime
de Jean RACINE dans Mithr. II, 2
Tu me parles toujours comme un juge implacable Qui sur son tribunal intimide un coupable
Sémantique : Fig.
L'esprit de ce souverain juge du monde [l'homme] n'est pas si indépendant qu'il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui
2
Homme préposé par autorité publique pour rendre la justice aux particuliers.Pendant que chacun tâche de vaincre [dans une discussion], on s'exerce bien plus à faire valoir la vraisemblance qu'à peser les raisons de part et d'autre ; et ceux qui ont été longtemps bons avocats ne sont pas pour cela par après les meilleurs juges
de René DESCARTES dans Méth. VI, 5
Le juge prétendait qu'à tort et à travers On ne saurait manquer, condamnant un pervers
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. II, 3
Ô Seigneur, vous avez fait, comme dit le Sage, l'oeil qui regarde et l'oreille qui entend ; vous donc qui donnez aux juges ces regards benins, ces oreilles attentives, et ce coeur toujours ouvert à la vérité, écoutez-nous pour celui qui écoutait tout le monde
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans le Tellier.
On y [dans le Tellier] vit tout l'esprit et les maximes d'un juge, qui, attaché à la règle, ne porte pas dans le tribunal ses propres pensées ni des adoucissements ou des rigueurs arbitraires, et qui veut que les lois gouvernent et non pas les hommes
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans ib.
L'ambition a fait trouver ces dangereux expédients où, semblable à un sépulcre blanchi, un juge artificieux ne garde que les apparences de la justice
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans ib.
Trente juges étaient tirés des principales villes pour composer la compagnie qui jugeait tout le royaume [d'Égypte]
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Hist. III, 3
Aussi disait-il ordinairement qu'il y avait peu de différence entre un juge méchant et un juge ignorant
de Esprit FLÉCHIER dans Lamoignon.
Dieu, dont la providence destine les juges pour gouverner son peuple, comme elle destine les prêtres pour le sanctifier
de Esprit FLÉCHIER dans ib.
Ceux qui, renversant l'ordre des choses, se font une occupation de leurs amusements, et ne donnent à leurs charges que les restes d'une oisiveté languissante, comme s'ils n'étaient juges que pour être de temps en temps assis sur les fleurs de lis où ils vont peut-être rêver à leurs divertissements
de Esprit FLÉCHIER dans ib.
M. le Tellier savait qu'un juge doit rendre compte non-seulement de son travail, mais encore de son loisir
de Esprit FLÉCHIER dans le Tellier.
Crois-tu qu'un juge n'ait qu'à faire bonne chère, Qu'à battre le pavé comme un tas de galants ?
de Jean RACINE dans Plaid. I, 4
Ne raillons point ici de la magistrature ; Vois-tu ? je ne veux point être un juge en peinture
de Jean RACINE dans ib. II, 13
Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur
de Jean de LA BRUYÈRE dans XIV
La maison de M. de Villars ressemblait-elle à ces maisons d'orgueil où ceux que les affaires y attirent pensent plus aux moyens d'aborder leur juge qu'à lui exposer leur droit et leur justice ?
Il craignait avec grande raison que la justice ne fût d'une part et les juges de l'autre
Autrefois les juges, n'étant pas salariés par l'État, avaient des bénéfices dans les procès.
Le devoir des juges est de rendre la justice ; leur métier est de la différer ; quelques-uns savent leur devoir et font leur métier
de Jean de LA BRUYÈRE dans XIV
3
Collectivement et absolument, tribunal. Renvoyer devant le juge, par-devant le juge.4
Juges de rigueur, les juges qui doivent prononcer suivant la rigueur de la loi ; à la différence des arbitres, qui peuvent se décider d'après l'équité naturelle.Juges de rigueur, s'est dit aussi des juges subalternes ; à la différence des juges qui prononçaient en dernier ressort, et qui se permettaient quelquefois d'adoucir la rigueur de la loi.
Juges naturels, ceux que la loi assigne aux accusés, aux parties, suivant leur qualité et l'espèce de la cause.
Juges inférieurs, juges qui prononcent en premier ressort.
5
Juge d'instruction, magistrat établi pour rechercher les crimes et les délits, en recueillir les preuves ou indices, et faire arrêter et interroger les prévenus.Juge-commissaire, juge désigné par le tribunal dont il fait partie pour procéder à certaines opérations, et en faire son rapport s'il y a lieu.
Juge de paix, magistrat principalement chargé de juger sommairement, sans frais et sans ministère d'avoués, les contestations de peu d'importance, et de concilier, s'il se peut, les différends dont le jugement est réservé aux tribunaux civils ordinaires.
Juges extraordinaires, juges qui ne connaissent que de certaines matières distraites par la loi de la juridiction ordinaire.
6
Autrefois, juges ordinaires, juges à qui appartenait naturellement la connaissance des affaires civiles ou criminelles ; à la différence des juges de privilége, et de ceux qui étaient établis par commission.On appelait aussi juges ordinaires ceux qui servaient toute l'année, à la différence de ceux qui ne servaient que par semestre.
Juges royaux, ceux qui rendaient la justice au nom du roi. Juges des seigneurs, ceux qui la rendaient au nom des seigneurs.
Juge d'attribution, juge qui était établi pour connaître de certaines affaires.
Juge délégué, celui qui était commis pour connaître d'une affaire particulière, par opposition à juge permanent.
Juge botté, juge qui n'était pas gradué.
Juge botté ne se dit plus que fig. d'un juge sans lumière et sans capacité.
Juge a quo [duquel, sous-entendu on pouvait appeler], juge subalterne, juge dont on appelait.
Autrefois juges et consuls, juges-consuls, aujourd'hui juges consulaires, juges pour les affaires commerciales, juges au tribunal de commerce.
Comme les négociants habiles et instruits dans leur art ont acquis par l'habitude et l'usage du commerce une connaissance suffisante pour juger les différends qui concernent le négoce et la marchandise, l'ordonnance [de 1673] a cru devoir ôter la connaissance de ces différends aux juges ordinaires, et en confie la décision aux négociants mêmes, ou du moins aux plus habiles et plus capables d'entre eux, choisis à cet effet dans chaque ville par le corps des négociants, et elle leur a donné la qualité de juges-consuls
de POTHIER dans Commentaire sur l'ordonnance du commerce, Paris, 1761, in-12, p. 216
7
Grand juge, titre donné, sous le premier empire, au ministre de la justice.8
Juge mage ou maje, titre qu'on donnait, dans quelques provinces méridionales de la France, au lieutenant du sénéchal.9
Nom donné à ceux qui sont chargés de prononcer dans un concours. Les juges du concours.10
Toute personne ou ensemble de personnes choisies pour prononcer sur un différend, ou dont le jugement, l'opinion a pouvoir de décider.Puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point
Il est donc hérétique, me dit-il, demandez-le à ces bons pères. Je ne les pris pas pour juges
de Blaise PASCAL dans Prov. I
Je fais M. de Grignan juge de ce que je dis
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 590
Combien voudriez-vous donc, monsieur de la Brie ? - Vous-même je vous en fais juge
de Florent Carton, sieur d'Ancourt, dit DANCOURT dans la Femme d'intrigues, I, 6
Je ne prends point pour juge un peuple téméraire
de Jean RACINE dans Athal. II, 5
Les nations les ont pris pour juges de leurs différends
La confiance avec laquelle il a fait l'univers juge de sa conduite prouve assez qu'il ne se reprochait rien
de Bernard le Bouyer de FONTENELLE dans Czar Pierre.
Chacun s'érigera en juge de cette nouvelle démarche
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Resp. hum.
Il se dit, dans le même sens, de toute chose personnifiée.
Mon juge est mon amour, mon juge est ma Chimène
de Pierre CORNEILLE dans Cid, III, 1
Dieu conduit l'Église dans la détermination des points de la foi, par l'assistance de son esprit qui ne peut errer ; au lieu que, dans les choses de fait, il a laissé agir par les sens et par la raison, qui en sont naturellement les juges
de Blaise PASCAL dans Prov. XVII
Je puis.... Lui disputer les coeurs du peuple et de l'armée, Et pour juge entre nous prendre la renommée
de Jean RACINE dans Bajaz. III, 4
Loin du triumvirat va chercher un refuge ; Je prends entre nous deux la victoire pour juge
11
Celui qui est capable de juger d'une chose, de l'apprécier.Vous vous êtes, en ma faveur, trompé en une chose de laquelle vous êtes si bon juge
de Vincent VOITURE dans Lett. 37
Toutes les vaines excuses dont vous couvrez votre impénitence vous vont être ôtées.... mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Anne de Gonz.
Un auteur à genoux, dans une humble préface, Au lecteur qu'il ennuie a beau demander grâce ; Il ne gagnera rien sur ce juge irrité, Qui lui fait son procès de pleine autorité
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. IX
Pourquoi les amants, qui sont bons juges de ce qui touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit ?
de Bernard le Bouyer de FONTENELLE dans les Mondes, 1er soir.
Se faire, s'établir, se constituer juge de quelqu'un, de quelque chose, se croire capable de juger quelqu'un, quelque chose.
12
Juges du camp, ceux qui, dans les combats judiciaires, dans les joutes et combats de chevaliers, étaient chargés de veiller à ce que tout se passât suivant l'usage et la loyauté.13
Francs juges, voy. VEHME.14
Titre des magistrats suprêmes des Juifs avant l'établissement de la royauté.Depuis le temps des juges qui jugèrent Israël
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Rois, IV, XXIII, 22
Le livre des Juges ou, simplement, les Juges, le septième livre de l'Ancien Testament, qui contient l'histoire des Juifs pendant la domination des juges.
15
Juge et garde de la prévôté, juge subalterne du bailli.Juge d'armes, officier qui était chargé de vérifier et de certifier les armoiries et les titres de noblesse.
Juge-garde, fonctionnaire qui veillait à la fabrication des monnaies.
PROVERBES
1
Exemple : De fou juge briève sentence, c'est-à-dire les ignorants décident sans examiner.On a vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges
HISTORIQUE
1
XIIIe s.Grant don fait juges aveugler, Droit abatre, tort elever
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 132
[Hypocrisie] Ses anemis ne prise gaires, Qu'ele a baillis, provos et maires, Et si a juges
de RUTEBEUF dans I, 204
Nus [nul] en sa querele ne doit estre juges et partie, excepté le roi ; car cil pot estre juges et partie en sa querele et en l'autrui
de Philippe de BEAUMANOIR dans I, 24
2
XIVe s.Le juge est bon, qui tost entent et tart juge
dans Ménagier, I, 9
3
XVe s.Par ce l'en peult appercevoir Souvent en mainte plaidoyerie Ung homme, affin de recepvoir, Estre ensemble juge et partie
de COQUILLART dans Plaidoyer de la simple et de la rusée.
Juge hastif est perilleux
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 132
4
XVIe s.Le peuple ne voulut point tirer au sort ceulx qui devroient estre juges de ce jeu, pour adjuger le prix à celuy des poetes qui l'auroit mieulx merité
de Jacques AMYOT dans Cimon, 14
Les voulez-vous faire [les philosophes] juges des droicts d'un procez, des actions d'un homme ?
de Michel de MONTAIGNE dans I, 140
Et fera le juge d'appel ce que devoit faire le juge a quo
dans Coust. génér. t. II, p. 413
Les juges [du camp] estoient Hercules, duc de Ferrare, et Louis, marquis de Saluces, lesquels estoient dedans un eschaffault près de celuy du roy, duquel pouvoient veoir tout à clair tous les coings et endroicts du champ, et sans empeschement adviser tout l'exploict de la bataille
de J. D'AUTON dans Ann. de Louis XII, p. 89, dans LACURNE
Tel juge tel jugement
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans t. II, p. 132
...Nommer et elire cinq marchands... le premier desquels nous avons nommé juge des marchands, et les quatre autres consuls desdits marchands... Connoistront lesdits juge et consuls des marchands de tous procès et differends qui seront ci-après mus entre marchands
dans Édit. de nov. 1563, art. 1 et 3
ÉTYMOLOGIE
1
Provenç. jutge ; espagn. juez ; portug. juiz ; ital. giudice ; du lat. judicem, de jus, droit, et dex, celui qui dit, de dicere. Il est vrai que l'on a dicere ( i long) et judicis ( 1er i bref) ; mais on doit remarquer que tous les mots tels que dicare ( i bref), causidicus ( 2nd i bref), etc. ont di ( i bref) ; d'ailleurs on sait que l'ancienne forme de dicere ( avec un i long) est deicere, lequel est un gouna du radical diç, montrer, dire.SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
1
Le mot juge a pris diverses significations spéciales dans les îles Normandes : A Jersey et à Guernesey, juge délégué, personne désignée pendant la vacance de l'office de bailli, pour en exercer provisoirement les fonctions. A Aurigny et à Serk, autrefois, juge, le premier des jurés chargé de la présidence de la cour. À Aurigny, aujourd'hui, le juge fonctionnaire nommé par la couronne, président de la cour et des États de l'île. Lieutenant-juge, personne désignée pour exercer les fonctions du juge en son absence. Enfin le nom de juge est souvent donné aujourd'hui aux jurés de Jersey.