Définition de CRNEUR

DÉFINITIONS - REMARQUE - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : rê-vé

DÉFINITIONS

1
Faire des rêves en dormant.
Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis et agités par ces fantômes pénibles
de Blaise PASCAL dans Pens. III, 14, éd. HAVET.
Tel peut-être veille comme un sot et rêve comme un homme d'esprit
de Denis DIDEROT dans Salon de 1767, Oeuv. t. XIV, p. 257, dans POUGENS
Sémantique : Familièrement. Cet homme rêve tout éveillé, rêve les yeux ouverts, son imagination enfante des chimères.
Si elle [l'âme] était née avec des idées métaphysiques, comme l'ont dit tant d'écrivains qui rêvaient les yeux ouverts
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Dict. phil. Somnambules
Ce sont des hommes qui rêvent éveillés, et qui sont fort surpris, lorsqu'on ne rêve pas comme eux
de Etienne Bonnot de CONDILLAC dans Art de raison. IV, 2
Il me semble que je rêve, je crois rêver.... se dit pour exprimer qu'on croit être dans un rêve, non dans la réalité, quand....
Il me semble que je rêve quand j'entends....
de Blaise PASCAL dans Prov. V
Je crois rêver en l'écrivant
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 364
2
Avoir le délire, dans un accès de fièvre ou dans quelque autre maladie.
La fièvre tierce avec des accès qui la font rêver [Mme de la Fayette]
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 13 mai 1672
Il y a des gens qui rêvent toujours pendant la fièvre
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 17 mai 1676
3
Dire des choses déraisonnables. C'est un vieux radoteur, il ne fait que rêver.
Ménechme : Nous rêvons, vous ou moi ; quoi ! vous me ferez croire Que j'ai vu votre fille ? en quel temps ? comment ? où ? - Démophon : Tout à l'heure, en ces lieux. - Ménechme : Allez, vous êtes fou
de Jean-François REGNARD dans les Ménechm. III, 8
Platon rêvait beaucoup, et on n'a pas moins rêvé depuis ; il avait songé que la nature humaine était autrefois double, et qu'en punition de ses fautes elle fut divisée en mâle et en femelle ....les rêves alors donnaient une grande réputation
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Songe de Platon
Rêver noir, avoir des idées tristes.
Ou vous rêvez noir, ou il vous faut de la conversation
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 86
4
Penser d'une manière vague.
Elles [les Muses] en sont autrefois descendues [du Parnasse], pour venir rêver aux bords du Tibre
de GODEAU dans Disc. sur Malherbe.
Qu'on rêve avec plaisir, quand notre âme blessée Autour de ce qu'elle aime est toute ramassée !
de Pierre CORNEILLE dans Pulch. II, 1
Comme s'ils n'étaient juges que pour être de temps en temps assis sur les fleurs de lis, où ils vont peut-être rêver à leurs divertissements passés
de Esprit FLÉCHIER dans Lamoignon.
Callimaque rêvait sur ses malheurs en menant son troupeau
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans t. XIX, p. 30
Notre plaideur, qui était assez taciturne, et qui rêvait plus qu'il ne parlait
de Pierre de MARIVAUX dans Pays. parv. part. 4
Virgile abandonnait les fêtes de Capoue Pour rêver sur les bords des marais de Mantoue
de BERNIS dans Épît. V, Amour patr.
L'oisiveté me suffit, et, pourvu que je ne fasse rien, j'aime encore mieux rêver éveillé qu'en songe
de Jean-Jacques ROUSSEAU dans Conf. XI
quel amoureux ennui Me rend cher ce bocage où je rêve de lui ?
de André CHÉNIER dans Mnazile et Chloé.
Rêver que je suis libre et que je suis heureuse
de P. LEBRUN dans Marie Stuart, III, 1
Au printemps sous l'ombrage, Un jour mon coeur rêvait
de Pierre Jean de BÉRANGER dans Rêverie.
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ; Je veux rêver et non pleurer
de Alphonse de LAMARTINE dans Harm. IV, 10
5
Être distrait.
Allons, vous, vous rêvez et bayez aux corneilles ; Jour de Dieu ! je saurai vous frotter les oreilles
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Tart. I, 1
Sa femme [de la Fontaine] dit qu'il rêve tellement, qu'il est quelquefois trois semaines sans croire être marié
de Gédéon TALLEMANT, Sieur Des Réaux, dit TALLEMAND DES RÉAUX dans Historiettes, de la Fontaine.
6
Penser, méditer profondément. Il [l'empereur Léopold Ier qui avait la bouche très grande et toujours ouverte] se plaignait un jour au prince de Porcie son favori, jouant aux quilles avec lui [la pluie étant survenue], de ce qu'il pleuvait dedans, le prince de Porcie (bel effort de génie !), après y avoir rêvé quelque temps, lui conseilla de la fermer, Mém. du maréchal de Gramont, t. LVII, p. 20.
C'était à l'oraison funèbre de Mme de Longueville qu'elles pleuraient M. de la Rochefoucauld ; ils sont morts dans la même année ; il y avait bien à rêver sur ces deux noms
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 419
Je vous laisse rêver sur ce grand événement [Jacques II essayant de reprendre l'Angleterre]
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 24 déc. 1688
Je me promenais dans mon jardin d'Auteuil, et rêvais en marchant à un poëme que je voulais faire contre les mauvais critiques de notre siècle
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Discours sur la satire XI
Et, sans aller rêver dans le double vallon, La colère suffit et vaut un Apollon
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans ib. I
Il se mit à rêver à son projet
de Antoine HAMILTON dans Gramm. 2
J'y étais quand il les fit [ces vers], il était dans un souper, et il ne rêva pas un moment
de Charles-Louis de Secondat MONTESQUIEU dans Lett. pers. 54
Anciennement. Rêver à la Suisse, avoir l'air de penser à quelque chose, et ne penser à rien.
7
Nature : V. a. Voir, imaginer en rêve.
Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait peut-être autant que les objets que nous voyons tous les jours
de Blaise PASCAL dans Pens. III, 14
Un songe le fait roi, lui donne des sujets ; Il rêve des trésors, des sceptres, des palais
de Jacques DELILLE dans Imagin. I
[Que] Bien ou mal mis, Tous amis, Dans l'ivresse endormis, Nous rêvions les vendanges
de Pierre Jean de BÉRANGER dans Grande orgie.
On dit, sans article : rêver mariage, rêver mort, rêver querelle.
Vous avez rêvé cela, se dit à quelqu'un qui raconte des choses que l'on ne croit pas.
Une visite que vous avez apparemment rêvée comme tout le reste
de Antoine HAMILTON dans Gramm. 4
8
Voir par la pensée comme dans un rêve.
Ils voyaient comme en songe l'univers se former à leurs yeux ; ils rêvaient les principes des choses, leurs essences, leur génération, et ils ne s'éveillaient point
de Etienne Bonnot de CONDILLAC dans Hist. anc. III, 1
Par la pensée encor je jouirai des cieux, Je rêverai les bois, les monts, la terre et l'onde ; Et dans mes souvenirs j'habiterai le monde
de Jacques DELILLE dans Trois règnes, ch. I
Autour de ces paroles éteintes [une traduction française d'une ode de Sapho], sous les changements du temps et des idiomes, rêvez le ciel de Lesbos, l'harmonie des vers et celle de la lyre....
de VILLEMAIN dans Ess. sur le génie de Pindare, ch. VI, à la fin.
9
Méditer sur, songer à.
Allons sur le chevet rêver quelque moyen
de Pierre CORNEILLE dans Ment. III, 6
L'un est sans doute mieux rêvé, Mieux conduit et mieux achevé ; Mais je voudrais avoir fait l'autre
de Pierre CORNEILLE dans Sur les sonnets de Job et d'Uranie
Il faudrait rêver quelque incident
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Crit. 7
10
Dans la langage élevé, poétique. Désirer quelque chose ardemment, avec passion.
Le soldat aujourd'hui ne rêve que la guerre
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Sat. IX
Quand ils sont nés à peine, ils rêvent un empire
de Marie-Joseph CHÉNIER dans Tibère, III, 2
Cette carrière de gloire et d'honneur que j'avais rêvée, commence donc par l'antichambre [par les sollicitations]
de SCRIBE dans le Prix de la vie, dans les Historiettes et proverbes

REMARQUE

1
Rêver est suivi de la préposition de quand il s'agit de rêve : J'ai rêvé de vous cette nuit ; de la préposition à quand il s'agit de méditation : J'ai rêvé toute la nuit à cet incident.

HISTORIQUE

1
XIIIe s.
Mais sul de cele gent Stigand L'arceveske s'en va gabant, Ki s'est turnez en une part, E dit que reeve li vieillars
dans Édouard le confes. V. 3783
Cuidiés que dame à cuer vaillant Aint [aime] ung garçon fol et saillant, Qui s'en ira par nuit resver
dans la Rose, 7776
Nous venions l'autrier de joer, Et de resver, Moi et mi compaing et mi per
de Victor Henri-Joseph Brahain, dit DU CANGE dans dans le Gloss. français.
2
XIVe s.
Comme Fouquet Hodierne fust alez avec trois compaignons charretiers esbatre et resver de nuit
de Victor Henri-Joseph Brahain, dit DU CANGE dans reventare.
3
XVe s.
Sire chevalier, vous resvez, ce me semble ; car vos raisons sont toutes contraires à cest achevement que tant desirez à avoir
dans Perceforest, t. V, f° 45

ÉTYMOLOGIE

1
Origine incertaine. Parmi les langues romanes, jusqu'à présent on ne connaît rêver que dans le français. Le P. Labbe, Ampère et Génin ont supposé une parenté entre rêver et desver (voy. ENDÊVER). On a indiqué l'anglais to rave, avoir le délire ; mais le mot anglais paraît venir du français, non le français de l'anglais ; il en est de même du flamand reven, revelen, et du moyen haut-allemand reben. Diez conjecture que rêve est une forme dialectique pour rage, et représente le latin rabies. Cette conjecture ne satisfait ni à la forme (rabies ayant déjà donné rage), ni au sens (rever signifiant essentiellement vagabonder, faire le vaurien). On satisfait mieux à l'une et à l'autre en s'adressant au danois roeuve, angl. to rove, errer, vagabonder, faire le bandit, d'où, en anglais, avoir le délire, et, en français, faire un rêve.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
RÊVER. - HIST. XIIIe s. Ajoutez :
Sire, il [un fou] n'est onques autrement ; Toudis rede il, ou cante, ou brait
dans Théâtre franç. au moyen âge, Paris, 1839, p. 72
Tel peeur [un mourant] a pour peu ne desve ; Ce dit chascun : je cuit qu'il resve ; C'est li malage qui l'argue
de GAUTIER DE COINSY dans les Miracles de la sainte Vierge, p. 435, éd. abbé Poquet.
2
XVIe s.
Il te plaist seulement estre conveincu par l'Escriture sainte ; ce n'est pas bien fait à toy, et resves en cela bien fort
de SLEIDAN dans l'Estat de la religion et republique sous Charles V, p. 34

Synonymes de RÊVER

Termes proches de RÊVER