Définition de RAGE
Prononciation : ra-j'
DÉFINITIONS
1
Sémantique : Terme de médecine. Maladie particulière au genre chien, qui se caractérise par le désir de mordre, des accès de fureur et une salive propre à inoculer la maladie. L'horreur des liquides n'est pas constante dans la rage. La rage inoculée à l'homme par une morsure ne se guérit, quoi qu'on dise, par aucun remède, sinon par la cautérisation pratiquée aussitôt.On n'est pas toujours attaqué de la rage ou de la peste ; il suffit souvent qu'un ministre d'État enragé ait mordu un autre ministre, pour que la rage se communique dans trois mois à quatre ou cinq cent mille hommes
Rage blanche, celle où le chien écume et mord.
Rage mue, voy. MUE 2.
Mais parlons de cette sagesse qui me paraît une folie mue, comme une rage mue ; c'est un fond de rage muette, un chien ne paraît point enragé, il semble qu'il soit sage, et cependant il est profondément dévoré de cette rage
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 566
2
Sémantique : Par exagération. Douleur violente. Avoir une rage de dents.L'ivrogne et le gourmand recevront leurs supplices Du souvenir amer de leurs chères délices ; Et ces repas traînés jusques au lendemain Mêleront leur idée aux rages de la faim
de Pierre CORNEILLE dans Imit, I, 24
3
Violent transport de colère, de dépit, de cruauté.Mais voyez que sa mort mettra ce peuple en rage
de Pierre CORNEILLE dans Poly. V, 1
Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. II, 11
Il [le coq] aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs, Et, s'exerçant contre les vents, S'armait d'une jalouse rage
de Jean de LA FONTAINE dans ib. VII, 13
Quelle rage aux Messinois d'avoir tant d'aversion pour les pauvres Français, qui sont si aimables et si jolis !
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 28 mars 1676
Ô Alger [bombardé par Duquesne], dans ta brutale fureur tu te tournes contre toi-même, et tu ne sais comment assouvir ta rage impuissante
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Mar.-Thér.
La colère dans l'âme, et le feu dans les yeux, Il distilla sa rage en ces tristes adieux
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. I
Et moi, pour mon partage Je n'emporterais donc qu'une inutile rage
de Jean RACINE dans Andr. III, 1
Télémaque.... sortit en frémissant de rage
De rage, par rage.
Aimer nos ennemis avec idolâtrie, De rage en leur trépas maudire la patrie
de Pierre CORNEILLE dans Hor. V, 3
Pour lui [Ver-vert] soeur Thècle oubliait les moineaux ; Quatre serins en étaient morts de rage
Sémantique : Fig. et familièrement. Faire rage, faire un grand désordre. Les soldats ont été chez lui, et y ont fait rage.
Faire rage contre, assaillir violemment.
Le vent, la pluie et l'orage Contre l'enfant faisaient rage
de Jean de LA FONTAINE dans Imitat. d'Anacr.
En un autre sens, faire rage, se signaler, faire des prouesses, en bien comme en mal.
Encore une fois, monsieur, je vous supplie très humblement de faire rage [en sollicitant une affaire]
de Vincent VOITURE dans Lett. 147
Ceux qui font rage de la lyre, J'entends les poëtes divins
de Paul SCARRON dans Virg. VI
Certes, vous faites rage, et payez aujourd'hui D'un jugement très rare et d'un bonheur extrême
Cléante : L'affaire ne se fera point ? - La Flèche : Pardonnez-moi ; notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous
Toute la musique de l'opéra y fait rage
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 113
Par intervalles Le singe faisait rage et cognait ses timbales
de Victor HUGO dans Contemplations, I, 22
On a dit aussi faire des rages.
C'est un drôle qui fait des rages
Dire rage de quelqu'un, en dire tout le mal possible.
Battre sa femme, et dire au peintre rage
de Jean de LA FONTAINE dans Rém.
Le duc de Rohan descend le degré, disant rage et injure à son intendant
On trouve aussi dire des rages.
Il disait même des rages de Votre Majesté, et puis tout d'un coup il se radoucissait, mais jamais pour M. le Cardinal
On dit des injures, des mépris.... des plaintes, des rages....
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 20 oct. 1679
Rages au pluriel.
Qui n'ouït la voix de Bellone, ....Et, déjà les rages extrêmes, Par qui tombent les diadèmes, Faire appréhender le retour De ces combats....
de François de MALHERBE dans III, 3
Je porte, malheureux, après de tels outrages, Des douleurs sur le front, et, dans le coeur, des rages
de Pierre CORNEILLE dans Suiv. III, 4
Déployez toutes vos rages, Princes, vents, peuples, frimas
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Od. I
Le songe de Polyeucte a satisfait leurs rages.... Rages ne se dit plus au pluriel ; je ne sais pourquoi ; car il faisait un très bel effet dans Malherbe et dans Corneille
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Comm. Corn. Rem. Poly. I, 3
Rage pourrait, dans l'occasion, se dire encore très bien au pluriel.
4
Sémantique : Fig. Goût excessif, penchant outré.Si vous êtes au-dessus de la rage de la bassette, si vous vous possédez vous-mêmes
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans à Bussy, 18 déc. 1678
Sans mentir, l'avarice est une étrange rage
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. IV
Avec la rage de la cour, Mme Dufresnoy ne pouvait être dame et ne voulait pas être femme de chambre
Il vous a dit qu'il était veuf ! hé ! parbleu, sa femme m'a dit qu'elle était veuve ; ils ont la rage tous deux de vouloir être veufs
de Alain René LESAGE dans Turcaret, V, 10
La rage de parler est encor plus pressante
La rage d'imprimer ses vers est une étrange chose ; mais ce n'est pas à moi de la condamner
La rage des remontrances et des projets sur les finances a saisi la nation
Sémantique : Fig. et familièrement. Aimer à la rage, jusqu'à la rage, aimer avec excès.
Ce portrait-là n'est pas fort à votre avantage ; Mais, malgré vos défauts, je vous aime à la rage
J'aime surtout les vers, cette langue immortelle, C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas : Mais je l'aime à la rage
de Alfred DE MUSSET dans Namouna, II
À la rage, se dit aussi d'autres sentiments violents.
Sa femme qui était jalouse à la rage
HISTORIQUE
1
XIe s.Al cors vus est entrée mortel rage
dans Ch. de Rol. LVII
2
XIIe s.Par Deu, seigneur, fait-il, moult pensa grant folage, Qui à Charle loa tel conseil et tel rage
dans Sax. XXVI
3
XIIIe s.Quant cele rage m'ot si pris, Dont maint ont esté entrepris
dans la Rose, 1631
Dous-Pensers ainsinc assouage [soulage] Les dolors d'Amors et la rage
dans ib. 2678
4
XIVe s.Qui le chien veult ochirre, tuer et mehaingnier, La rage le met seure ; se le fiert d'un levier
dans Baud. de Seb. XI, 746
S'il avenoit que aucun qui eust fait testament se mist à mort par desespoir, par rage de chef, par maladie....
de BOUTEILLER dans Somme rural, p. 598, dans LACURNE
5
XVe s.Et lors il est plus que martir ; Car son mal vault trop pis que raige
de Charles D'ORLÉANS dans Ball. 3
6
XVIe s.On nous dit que dedans Peronne Florenge a fait et feu et raige
de Clément MAROT dans II, 152
ÉTYMOLOGIE
1
Bourg. raige ; provenç. rabia, ratje ; espagn. rabia ; ital. rabbia ; du lat. rabies, qu'on rattache à la racine sanscrite rabh, agir violemment, désirer. Palsgrave, p. 9, dit que raige se prononce par exception rage.