Définition de JOUIR
Prononciation : jou-ir
DÉFINITIONS
1
Tirer plaisir, agrément. profit de quelque chose (sens le plus voisin du sens étymologique).Vous jouirez fort peu d'une telle insolence
de Pierre CORNEILLE dans Médée, II, 7
.... Ce malheureux attendait, Pour jouir de son bien, une seconde vie
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. IV, 20
L'heureux vieillard jouit jusqu'à la fin des tendresses de sa famille
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans le Tellier.
La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi ; jouissez, prince, de cette victoire, jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice [celui de Jésus-Christ]
Jouissant, en sujet fidèle, des prospérités de l'État et de la gloire de son maître
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans le Tellier.
La liberté qu'on se donne de penser tout ce qu'on veut fait qu'on croit respirer un air nouveau ; on s'imagine jouir de soi-même et de ses désirs
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans Anne de Gonz.
Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie ; Qui sait si nous serons demain ?
de Jean RACINE dans Ath. II, 9
Roxane.... Nous engagea tous deux par sa facilité à la laisser jouir de sa crédulité
de Jean RACINE dans Baj. I, 4
Le coup de foudre qui allait éclater se cachait encore sous l'éclat trompeur de la nuée ; Dieu nous laissait encore jouir de notre erreur
On s'enferme dans une maison sainte, plutôt pour jouir quelques moments plus à loisir de la paresse, que pour fuir les plaisirs
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Vérit. culte.
Après avoir calculé pour le sage, calculons pour l'homme bien moins rare qui jouit de ses erreurs souvent plus que de sa raison
de Georges Louis Leclerc, comte de BUFFON dans Homme, arith. morale.
Pendant que Davoust jouissait peut-être du dangereux plaisir d'avoir humilié son ennemi [Berthier]
Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive, Il coule et nous passons
de Alphonse de LAMARTINE dans Médit. I, 13
Nature : Absolument. Savoir profiter de ce qu'on a, vie, temps, fortune. Il est riche, mais il ne sait pas jouir.
L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage, Ne dira-t-il jamais : c'est assez, jouissons ?
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. VIII, 27
Cependant jouissons ; l'âge nous y convie ; Avant de la quitter, il faut user la vie ; Le moment d'être sage est voisin du tombeau
de André CHÉNIER dans Élégie XX
Jouir de l'embarras de quelqu'un, jouir de son affliction, de sa détresse, etc. éprouver du plaisir à le voir ou à le savoir embarrassé, affligé, malheureux, etc.
Du malheur qui me presse Tu ne jouiras pas, infidèle princesse
de Jean RACINE dans Mithr. IV, 7
Jouissez de sa perte injuste ou légitime
de Jean RACINE dans Phèdre, V, 7
Laissez-moi le plaisir de confondre l'ingrat ; Je veux voir son désordre, et jouir de sa honte
de Jean RACINE dans Baj. IV, 6
2
Nature : Absolument. Éprouver un plaisir sensuel. Le gastronome jouit en mangeant de bons morceaux.Sémantique : Populairement. Ça ne fait pas jouir, se dit de quelque douleur physique, par exemple l'arrachement d'une dent.
3
Sémantique : Par extension, avoir la possession, l'usage de toute chose qui procure bien-être, avantage, agrément. Jouir d'une grande réputation. Jouir de l'estime publique.Leur roi n'a pu jouir de ton coeur adouci
de Pierre CORNEILLE dans Mort de P. V, 4
Les honneurs dont a joui Marie-Thérèse
de Esprit FLÉCHIER dans Mar.-Thér.
Il allait jouir d'un noble repos dans sa retraite de Bâville
de Esprit FLÉCHIER dans Lamoignon.
Vous jouirez bientôt de son aimable vue
de Jean RACINE dans Baj. V, 6
Du fruit de tant de soins à peine jouissant En avez-vous six mois paru reconnaissant
de Jean RACINE dans Brit. IV, 2
Chacun peut désormais jouir de mon aspect
Cet homme ne jouit pas de sa raison, c'est-à-dire son intelligence est troublée, il est fou, il est en enfance.
On dit quelque fois jouir, en parlant des animaux. Les animaux qui jouissent de la faculté de voir dans l'obscurité.
4
Sémantique : Particulièrement. Avoir la possession de quelque bien, de quelque avantage, et en profiter. Jouir d'une terre, d'un emploi. Jouir des droits civils, politiques. Il est majeur, il jouit de son bien.On ne m'a rien dit ni rien fait de leur part [les magistrats hollandais sollicités par Jurieu] ; j'ai joui de tous mes droits, et fait toutes mes fonctions comme auparavant
de BAYLE dans Lett. à Minutoli, 27 août 1691
Il m'avoua, pour me consoler, qu'il jouissait de quatre cent mille livres de rente
L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance
dans Cod. Nap. 578
La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements
dans ib. 544
Nature : Absolument. Jouir de bonne foi. Vous m'avez vendu votre terre, faites-moi jouir. Il jouissait paisiblement.
Au sens juridique, percevoir les fruits que produit une chose.
L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit
dans Cod. Nap. 582
5
Sémantique : Fig. Avec un nom de chose pour sujet, il se dit des avantages attachés à cette chose. La réputation méritée dont jouit cet ouvrage. Cette entreprise jouit d'une grande faveur dans le public. Cette contrée jouit d'un printemps perpétuel.D'où l'on voit que ç'a été dans l'année 36588 de la formation des planètes, c'est-à-dire il y a 38244 ans, que ce satellite [de Jupiter] jouissait de la même température dont jouit aujourd'hui la terre
6
Jouir de quelqu'un, avoir la liberté, le temps de conférer avec lui, de l'entretenir, d'en tirer quelque service, quelque plaisir. Nous jouirons de lui pendant son séjour à la campagne.Sémantique : Familièrement. On ne peut jouir de cet enfant, c'est-à-dire il est turbulent, capricieux, volontaire, on ne peut en venir à bout.
7
En langage libre, jouir d'une femme, avoir commerce avec elle.J'aimerais autant croire Dion Cassius, qui assure que les graves sénateurs de Rome proposèrent un décret, par lequel César, âgé de cinquante-sept ans, aurait le droit de jouir de toutes les femmes qu'il voudrait
8
Sémantique : Terme de chasse. Les chiens courants jouissent lorsque après avoir chassé, ils prennent l'animal et font curée. Pour avoir de bons chiens, il faut les faire jouir souvent.REMARQUE
1
Jouir, impliquant une satisfaction, ne se dit pas des choses mauvaises. Ainsi c'est parler ridiculement que de dire : Il jouit d'une mauvaise santé, d'une mauvaise réputation. Toutefois, quand la chose mauvaise dont il s'agit, malheur, peine, souffrance, peut être, par une hardiesse de l'écrivain, considérée comme quelque chose dont l'âme se satisfasse, alors jouir est très bien employé :Il ne croit rien avoir s'il n'a tout ; son âme est toujours avide et altérée, et il ne jouit de rien que des malheurs
de Jean-Baptiste MASSILLON dans cité dans GIRAULT-DUVIVIER
Je t'ai perdu ; près de ta cendre Je viens jouir de ma douleur
de ST-LAMBERT dans Épitaphe d'Helvétius
HISTORIQUE
1
XIIe s.Li quelz doit mieux, par droit, d'amors joïr... ?
dans Couci, X
Li rois les voit, s'est encontre saillis ; Assés les a acolés et joïs, Bernier baisa et puis le sor Geri
dans Raoul de C. 256
2
XIIIe s.Vieschi [voici] li roi Ricart qui est entrés en ma terre, et bien sai qu'il est outrecuidiés ; et, s'il pooit tant faire qu'il peust de moi goïr, bien sai de voir [de vrai] ne porteroie la vie
dans Chr. de Rains, p. 75
Chil [celui] qui doit goïr se vie [sa vie durant] des fruis par reson du testament....
de Philippe de BEAUMANOIR dans XII, 12
Jà ne la querroient oïr [la vérité], Trop en porroient mal joïr, Se je disoie d'eus parole Qui ne lor fust plesante et mole
dans la Rose, 11000
Joie d'amours fait tant gai Le cuer [le coeur], que c'est faerie [féerie], Que nulz qui got set celer
dans Bibl. des ch. 4e série, t. V, p. 26
3
XVe s.Si jouirent chevaliers et escuyers paisiblement de leurs prisonniers
de Jean FROISSART dans II, II, 19
4
XVIe s.Il n'y eust rien qui leur semblast si plaisant à regarder, ne si doulx à jouir que sa compaignie et sa personne propre
de Jacques AMYOT dans P. Aem. 37
La santé que j'ay jouie jusques à present très vigoureuse
de Michel de MONTAIGNE dans I, 78
Il se trouva court à jouir d'elle
de Michel de MONTAIGNE dans I, 76
L'amitié est jouie à mesure qu'elle est desirée
de Michel de MONTAIGNE dans I, 209
Jouir du privilege de....
de Michel de MONTAIGNE dans I, 234
La solitude se puelt jouir au milieu des courts
de Michel de MONTAIGNE dans I, 276
Les vrays biens desquels on jouit à mesure qu'on les entend
de Michel de MONTAIGNE dans I, 287
C'est le jouir, non le posseder, qui nous rend heureux
de Michel de MONTAIGNE dans I, 329
Je le voyois [Montaigne] habiller le mot de jouir du tout à l'usage de Gascongne, et non de nostre langue françoise : la santé que je jouy jusques à present
ÉTYMOLOGIE
1
Génev. gaudir de quelqu'un, en venir à bout ; norm. cette poutre est lourde, mais j'en jouirai bien, je viendrai à bout de la porter ; provenç. gaudir, jauzir, gauzir ; cat. gausir, jausir ; anc. ital. gaudire ; ital. mod. gaudere ; du lat. gaudere.SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
1
2. Malherbe a employé jouir activement : A quoi doit-il penser qu'à vivre, Vous jouir et se réjouir ? Lexique, éd. L. Lalanne. Cela est tout à fait hors d'usage.