Définition de RUSER
Prononciation : ru-zé
DÉFINITIONS
1
Employer toutes sortes de détours et d'expédients pour échapper aux chiens, en parlant du renard, du lièvre, du cerf, etc. (ce qui est un des sens primitifs). Le renard a long temps rusé.Sémantique : Fig.
C'est une des belles chasses qu'il est possible de voir, que celle que nous faisons après M. de Bellièvre et M. de Mirepoix ; ils courent.... ils rusent, mais nous sommes toujours sur la voie
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 12 juill. 1675
2
User de ruses, de moyens de tromper.....Il faut ruser pour avoir cette proie ; Rusons donc....
de Jean de LA FONTAINE dans Fabl. V, 8
Le roi, qui fit servir M. du Maine dans son armée où son ancienneté le faisait le second lieutenant général, rusa pour qu'il fût le premier
Il faut ruser avec la négligence des hommes, ainsi qu'avec leurs passions
J'ai voulu ruser avec eux ; ils m'ont traité comme un enfant
Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.
HISTORIQUE
1
XIIe s.À la feie Engleiz reuserent [reculèrent], Et à la feie retornerent
dans Rou, V. 13189
Bien crei qu'à cele feiz saint Thomas s'aïra De ço que cil Reinalz le destraist e sacha ; Si ad enpaint Reinalt qu'ariere rehusa, E le corn del mantel hors des mains li sacha
dans Th. le mart. 148
2
XIIIe s.Diex, qui le mont [monde] puet sauver, Gart France de raüser
de HUES DE LA FERTÉ dans Romanc. p. 192
Entre l'iave et le mont [ils] vont paiens encontrer, O les brans acerins les fisent reüser
dans Ch. d'Ant. VIII, 1332
Comment que mon temps aie usé, M'a ma conscience acusé Et tous dis loé [conseillé] le meillour, Et tant le m'a dit et rusé Que j'ai tout soulais refusé Pour tendre à venir à honour
de BARBAZAN dans Fabliaux, 2e édit. I, p. 116
C'est un homs qui ment de legier Et maint prod'omme a reüsé
dans la Rose, 3581
Si m'en venist miex reüser, Mes ne pooie refuser Ce que mes cuers me commandoit
dans ib. 1764
3
XIVe s.Et de premier assaut l'ost des Romains les fist ruser arrere
de Pierre BERCHEURE dans f° 50, recto.
Ainsy y doi mon sentement Mettre et mon entendement, Cuers, corps, pooir et quanque j'ay ; Ne je ne pris [prise] un bec de jay Ceuls qui s'en vorroient ruser [écarter]
de MACHAUT dans p. 7
Quant on ot rusé longuement [quand on se fut longuement ébattu], Uns chevaliers isnellement Hucha le vin et les espices
de MACHAUT dans p. 88
Adonc ma dame jura fort Que j'iroie ; et, quant vint au fort, De li m'approchai en rusant [tergiversant], Et tous dis en moy escusant Que ce à moi n'appartenoit
de MACHAUT dans p. 48
Rusez vous du chemin, car je ne puis tenir mon cheval
de Victor Henri-Joseph Brahain, dit DU CANGE dans rusare.
Par ma foi, chastelain, on ne doit pas ruser ; Se je devoie ci o ma gent demourer, Si n'en porrez vous jà un denier enbourcer
dans Guesclin. 5146
4
XVe s.[Le comte de Foix] avoit usage de ruser, de solacier et de gaber
de Jean FROISSART dans II, III, 18
Mais plus y suis et moins ay de puissance, Et suis de tous escharnis et rusez
de Eustache DESCHAMPS dans Poés. mss. f° 239
Or veons se li homs refuse Sa femme à aucun qui la ruse [pourchasse] Plus grand de li....
de Eustache DESCHAMPS dans ib. f° 499
[Une femme] Tant se scet de la langue aidier, Qu'ele ara droit, par son plaidier, Encontre cellui qui l'accuse ; Il n'est rien que femme ne ruse
de Eustache DESCHAMPS dans ib. f° 509
Des longtemps icellui Simon rusoit, frequantoit et repairoit icelle Ysabellet, soubz umbre et faintise de la prendre en mariage
de Victor Henri-Joseph Brahain, dit DU CANGE dans rusare.
5
XVIe s.Esjouys-toi, ne te mesle de guerre ; Car tu as chief qui les haulx au bas ruse, Crainct et doubté plus que cil de Meduse
de Jean des Mares ou Des Marets, dit Jean MAROT dans V, 49
Ne vous fiez point en luy, il se ruse avec tous ceulx à qui il a afaire
de PALSGR. dans p. 731
Si je ne puis la combattre [une idée pressante], je luy eschappe ; et, en la fuyant, je fourvoye, je ruse
de Michel de MONTAIGNE dans III, 299
ÉTYMOLOGIE
1
Provenç. rahusar, gruger (d'après Raynouard), mais plutôt tromper. Mot très difficile. Au XIIe siècle, reuser signifie reculer, repousser, écarter. Au XIIIe, il signifie repousser, mais il s'y joint le sens de tromper et celui de rebattre ; au XIVe, repousser, écarter, tergiverser, s'ébattre ; au XVe, s'ébattre, repousser, tromper, pourchasser, fréquenter ; au XVIe, à côté du sens de repousser qui se trouve dans J. Marot, on a celui de avoir de la ruse. Diez a montré que reüser, congénère à l'ital. rifusare et à l'espagn. rehusar, était né d'un mélange de refutare et de recusare. Le sens primitif de reuser, qui est repousser, tient à refutare, qui signifie repousser, rejeter. Du sens de repousser, ce verbe, pris neutralement, a passé à celui de reculer, puis de s'échapper par des détours, en parlant du gibier, et finalement de tromper, ruser. Des sens accessoires à s'échapper par des détours sont tergiverser, s'ébattre ; d'où sont venus aussi les sens de fréquenter une personne, la pourchasser.