Définition de PLEURER

DÉFINITIONS - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE -

Prononciation : pleu-ré ; Chifflet, Gramm. p. 98, recommande de ne pas dire plorer

DÉFINITIONS

1
Répandre des larmes.
Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer
de Pierre CORNEILLE dans ib. III, 4
On pleure pour être plaint ; on pleure pour avoir la réputation d'être tendre ; on pleure pour être pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas
Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés !
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Évang. St Math. v, 5
Je les relis [vos lettres] .... je ne puis pas seulement approcher des premières lignes sans pleurer du fond de mon coeur
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans à Mme de Grignan, 23 déc. 1671
Il est vrai qu'il y a des pensées et des paroles qui sont étranges ; mais rien n'est dangereux quand on pleure
Mais que ces retours sont doux, et qu'on a quelquefois de plaisir à pleurer !
J'apprenais à pleurer devant un grand miroir
de BOURSAULT dans Merc. gal. IV, 2
Et les plus malheureux osent pleurer le moins
Tout Israël périt : pleurez, mes tristes yeux
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera
On n'a pas dans le coeur de quoi toujours pleurer
de Jean de LA BRUYÈRE dans IV
Les enfants rient et pleurent facilement
de Jean de LA BRUYÈRE dans XI
D'où vient que l'on rit librement au théâtre, et que l'on a honte d'y pleurer ?
Vous avez je ne sais quelle inclination fatale pour la comédie larmoyante, qui abrégera mes jours ; je ne vous en aime pas moins ; mais je pleure dans ma retraite, quand je songe que vous aimez à pleurer à la comédie
L'abbé Galiani m'a beaucoup déplu, à moi, en confessant qu'il n'avait jamais pleuré de sa vie, et que la perte de son père, de ses frères, de ses soeurs, de ses maîtresses ne lui avait pas coûté une larme
de Denis DIDEROT dans Mém. t. I, p. 255, dans POUGENS
L'homme pleure, et voilà son plus beau privilége
Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétys, doux alcyons, pleurez
Mais si, d'un long crêpe voilée, Mon amante dans la vallée Venait pleurer quand le jour fuit
de MILLEVOYE dans Chute des feuilles.
Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? Laissons le vent gémir et le flot murmurer ; Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ; Je veux rêver et non pleurer
Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile, Et rien ne pleure plus sur son dernier asile
de Alphonse de LAMARTINE dans ib.
Pleurer de, avec un substantif.
Je reconnais Néarque, et j'en pleure de joie
Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse
de Jean de LA FONTAINE dans I, 5
Annibal, qui pleura de douleur en cédant aux Romains cette terre où il les avait tant de fois vaincus
Pleurer de, avec un verbe à l'infinitif.
Alexandre pleura de n'avoir point d'Homère
Pleurer sur, déplorer.
Il [Jésus] les avertit [les femmes de Jérusalem] de pleurer et de ne pas pleurer ; de ne pas pleurer sur lui, qui par sa mort allait être glorifié, mais de pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants
de Louis BOURDALOUE dans Myst. Passion de J. C. t. I, p. 242
[Monime] pleurant sur cette malheureuse beauté qui, au lieu d'un mari, lui avait donné un maître
C'est une espèce d'Héraclite chrétien, toujours prêt à pleurer sur la folie de ses semblables
de Denis DIDEROT dans Mém. t. I, p. 91, dans POUGENS
Pleurer comme un enfant, pleurer abondamment et facilement comme fait un enfant.
Mais enfin, me remettant devant les yeux ce que je devais à son père et à son frère, je n'eus recours qu'à mes larmes : je pleurai comme un enfant
Pleurer comme une Madeleine, pleurer avec effusion.
Sémantique : Familièrement. Pleurer comme un veau, comme une vache, pleurer excessivement.
Pétrarque... En eût de marrison [de chagrin] pleuré comme une vache
Depuis, pour l'amour d'elle, il pleure comme un veau
de Florent Carton, sieur d'Ancourt, dit DANCOURT dans Sancho Pança, II, 3
On dirait qu'il a pleuré pour avoir un habit, un chapeau, etc. se dit d'un homme qui a un habit écourté, un chapeau trop petit.
Il ne lui reste, on ne lui a laissé que les yeux pour pleurer, il a tout perdu, on lui a tout pris.
Il pleure d'un oeil et rit de l'autre, se dit d'un homme incertain entre deux sentiments opposés.
Il pleure d'un oeil et il rit de l'autre
de Jean de LA BRUYÈRE dans VIII
Jean qui pleure et Jean qui rit, homme qui se laisse aller aux sentiments les plus opposés d'un instant à l'autre ; c'est le titre d'un poëme de Voltaire, où l'auteur montre qu'il y a dans le monde de quoi se réjouir et de quoi s'affliger.
2
Nature : S. m. Le pleurer.
En quoi consiste le rire et le pleurer
de René DESCARTES dans L'homme.
En cet endroit où il [Homère] fait pleurer Achille et Priam, l'un du souvenir de Patrocle, l'autre de la mort du dernier de ses enfants, il dit qu'ils se soûlent de ce plaisir, il les fait jouir du pleurer comme si c'était quelque chose de délicieux
de Jean de LA FONTAINE dans Psyché, I, p. 96
3
Pleurer se dit des larmes provoquées par quelque chose d'âcre. Les yeux pleurent quand on pèle de l'oignon, quand on est exposé à la fumée.
Les yeux lui pleurent, ses yeux pleurent, se dit de quelqu'un qui a une incommodité qui fait que les larmes coulent sans cesse de l'oeil.
4
Il se dit du cerf.
La meute en fait curée : il lui fut inutile De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés
5
La vigne pleure, il dégoutte de l'eau de son bois.
6
Sémantique : Poétiquement. Se dit du saule pleureur dont les branches semblent pleurer.
Là des saules pensifs qui pleurent sur la rive
7
Nature : V. a. Pleurer quelqu'un, s'affliger de la perte, de la mort, du malheur de quelqu'un.
Cherchez avec soin et faites venir les femmes qui pleurent les morts, envoyez à celles qui y sont les plus habiles
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible. Jérémie, IX, 17
Mme de Bersillac est à l'agonie.... elle est mal pleurée ; le père et le mari voudraient qu'elle fût déjà sous terre
Et vous, messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu [pendant l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre, sa mère], qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ?
Il perd son fils unique.... il remet sur d'autres le soin de le pleurer, il dit : Mon fils est mort, cela fera mourir sa mère
de Jean de LA BRUYÈRE dans XI
Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort
Drusille, à qui il [Caligula] accorda les honneurs divins, étant morte, c'était un crime de la pleurer, parce qu'elle était déesse, et de ne la pas pleurer parce qu'elle était sa soeur
Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme
Sémantique : Familièrement. On ne l'a pleuré que d'un oeil, il n'a été regretté qu'en apparence.
8
Il se dit des choses regrettées.
Pleure mon infortune, et pour ta récompense Jamais autre douleur ne te fasse pleurer !
de François de MALHERBE dans VI, 20
Elle pleure en secret le mépris de ses charmes
Ma mère pleura la profession que j'avais quittée
Nous avons pleuré nos plaisirs injustes, et de nouveaux plaisirs ont un moment après essuyé nos larmes
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Inconstance.
Revenant tout à coup à elle, elle [Mme de la Vallière, à la mort de son fils] dit à ce prélat [qui la consolait] : c'est trop pleurer la mort d'un fils dont je n'ai pas encore assez pleuré la naissance
de Mme DE CAYLUS dans Souvenirs, p. 48, dans POUGENS
La mère et la femme de Darius ne pleurèrent-elles pas la mort d'Alexandre ?
Ces mystérieuses relations de l'infortune remplirent mes yeux de larmes ; il y a de la douceur à pleurer sur des maux qui n'ont été pleurés de personne
Soit qu'il naisse ou qu'il meure, Il faut que l'homme pleure Ou l'exil ou l'adieu
Ce malheur devrait être pleuré avec des larmes de sang, en larmes de sang, c'est-à-dire il devrait causer la plus vive douleur.
Pleurer ses péchés, ses fautes, s'affliger profondément de les avoir commis.
En déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation qu'on les répare quand on les pleure
Si, dans le moment que vous pleurez votre péché, vous n'en voulez pas retrancher l'occasion
de Louis BOURDALOUE dans Pénitence, 2e avent, p. 476
Les crimes que vous viendrez pleurer aux pieds des ministres
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Jeûne.
Dans le langage biblique, pleurer sa virginité, se dit d'une jeune fille qui pleure de mourir avant d'avoir été mariée.
Laissez-moi [la fille de Jephté] sur les montagnes pendant deux mois, afin que je pleure ma virginité avec mes compagnes
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Juges, XI, 37
9
Sémantique : Familièrement. Il pleure le pain qu'il mange, se dit d'un avare qui regrette la nourriture qu'il prend.
10
Pleurer une larme, verser quelques larmes.
Son oeil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite
Vous auriez peut-être pleuré une petite larme, puisque j'en ai pleuré plus de vingt
J'ai vu Briolle, qui m'a fait pleurer les chaudes larmes par un récit naturel et sincère de cette mort [du prince de Condé]
Larmes du coeur, par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain
de Alfred DE MUSSET dans Poésies nouv. Nuit de décembre
11
Se pleurer, Nature : v. réfl. Verser des pleurs sur soi-même.
J'avoue que je me suis pleuré en pleurant un ami qui faisait la douceur de ma vie, et dont la privation se fait sentir à tout moment
de François de Salignac de La Mothe FÉNELON dans dans le Dict. de DOCHEZ.
Les poëtes ont dit qu'avant sa dernière heure En sons harmonieux le doux cygne se pleure

HISTORIQUE

1
XIe s.
E tantes lermes pur le ton cors pluredes [pleurées]
dans St Alexis, LXXXI
Ne peut muer que des ieuz il ne plurt
dans Ch. de Rol. LX
Il nus [nous] plurrunt [pleureront] de doel et de pitié
dans ib. CXXX
[Ils] Plurent lor filz, lor freres, lor neveus
dans ib. CLXXIV
2
XIIe s.
Quant de moi [elle] rit, et je l'ai tant plorée
dans Couci, VI
Si que souvent [je] chant là où de cuer [je] plor
dans ib. XVI
Chascun pleure sa terre et son païs, Quant il se part de ses coraus amis
dans ib. XXIV
Je ne m'en sai venger fors au plorer
dans ib. VI
Là plorerent pour eus maint prince et maint baron
dans Sax. XXII
Ne jamais n'iert [ne sera] qui pes entre vus dous [le roi et l'archevêque] aturt, Ne jamais n'iert uns jurs saint iglise n'en plurt
dans Th. le mart. 36
Tex [tel] rit au main [matin] au vespre plorera
dans Bat. d'Aleschans, v. 3029
3
XIIIe s.
Et sachiés que mainte larme i ot plourée au departir de lor pays, et de lors gens et de lor amis
Et sa mere en commence de la joie à plourer
dans Berte III
Cius [celui-là] est amés pour sa prouece, Et honorés pour sa largece, Cil ne pleure pas les despens
de BAUDOUIN DE CONDÉ dans t. I, p. 240
4
XIVe s.
Plorer doivent li femme ; li homme avoir doleur Ne doivent qu'en leurs cuers, s'il n'ont en eulx foleur
dans Girart de Ross. v. 4127
Simplement à parler, il ne plaist pas à tel homme de grant courage que les autres pleurent de ses infortunes
5
XVe s.
S'elles n'ayment que pour argent, On ne les ayme que pour l'heure ; Rondement ayment toute gent, Et rient lors que bourse pleure
Celluy est fol qui pleure ainçois [avant] qu'il soit battu
dans Perceforest, t. v, f° 47
6
XVIe s.
Je ne puis continuer plus longuement ce propos sans larmes, je dy les plus vrayes larmes que je pleuray jamais
Quand Timoleon pleure le meurtre qu'il avoit commis, il ne pleure pas le tyran
de Michel de MONTAIGNE dans I, 272
J'aimais à me parer quand j'estois cadet.... et me seoit bien ; il en est sur qui les belles robbes pleurent
de Michel de MONTAIGNE dans IV, 7
Il ne faut point pleurer de tout cecy que je vous conte ; car peut estre qu'il n'est pas vrai
Assez peult plourer qui n'a qui l'appaise
de Randle COTGRAVE dans
À coeur dolent l'oeil pleure
de Randle COTGRAVE dans
Faites de vostre erreur maintenant penitence ; Mais, pour la bien pleurer, c'est trop peu que deux yeux

ÉTYMOLOGIE

1
Wallon, ploré ; génev. pleurer la nourriture à quelqu'un, la lui reprocher, la lui plaindre ; provenç. plorar ; espagn. llorar ; portug. chorar ; ital. plorare ; du lat. plorare, qui signifie verser abondamment des larmes, et que Curtius, n° 369, rattache à pluere, pleuvoir.

Synonymes de PLEURER

Termes proches de PLEURER