Définition de HEURTER

DÉFINITIONS - REMARQUE - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : heur-té

DÉFINITIONS

1
Toucher ou rencontrer rudement. Heurter quelqu'un en passant. Se heurter la tête contre un mur.
[Un valet] Heurtant table et tréteaux, verse tout [un plat] sur mes chausses
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Sat. X
L'un me heurte d'un ais dont je suis tout froissé
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Sat. VI
Leur allure [des tapirs] est brusque, et, sans chercher à offenser, ils heurtent rudement tout ce qui se rencontre devant eux
de Georges Louis Leclerc, comte de BUFFON dans Quadrup. t. X, p. 5
Un jour le laboureur dans ces mêmes sillons Où dorment les débris de tant de bataillons, Heurtant avec le soc leur antique dépouille...
de Jacques DELILLE dans Géorg. I
Sémantique : Fig. Il se dit des choses qui se contrarient.
Dont la tête est si troublée et les idées sont à tel point décousues que dans la même page une assertion sensée est heurtée par une assertion folle et une assertion folle par une assertion sensée
de Denis DIDEROT dans Règne de Claude et Néron, II, § 6
2
Sémantique : Par extension. Se dit de la rencontre des voyelles.
Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Art p. I
3
Sémantique : Fig. Blesser, offenser, en parlant des personnes qu'on heurte.
Et gardez que, heurtant ce coeur inaccessible, Vous ne vous y blessiez pensant le secourir
de Jean de ROTROU dans St-Gen. III, 7
Rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine [le péché originel], et cependant, sans ce mystère le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes
de Blaise PASCAL dans Grandeur et misère, Syst. des phil. 5, éd. FAUGÈRE.
L'abbé Testu était fort difficile à pardonner, et même à ne pas poursuivre quiconque l'avait heurté
de Louis de Rouvroy, duc de SAINT-SIMON dans 160, 106
Contrarier, en parlant des choses que l'on heurte.
Il ne pourra heurter votre pouvoir suprême
de Jean de ROTROU dans Vencesl. III, 7
Heurter de front ses sentiments, c'est le moyen de tout gâter
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Avare, I, 8
Cette grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages
de Jean-Baptiste POQUELIN, dit MOLIÈRE dans Mis. I, 1
Il eut soin de manier l'esprit du jeune tyran avec une adresse merveilleuse, évitant de heurter de front ses passions
de Charles ROLLIN dans Hist. anc. Oeuv. t. V, p. 249, dans POUGENS
Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut pas heurter les préjugés
de Pierre Augustin Caron de BEAUMARCHAIS dans Mère coup. I, 5
Les gens du peuple ont des formes assez grossières, surtout quand on veut heurter leur manière d'être habituelle
de Anne Staël-Holstein, dite Mme DE STAËL dans Allem. I, 1
Le son du cor, le bruit des armes n'ont rien qui heurte le goût
de François René CHATEAUBRIAND dans Génie, II, II, 11
4
Sémantique : Terme de peinture. Peindre rudement. Heurter un tableau. On dit qu'un dessinateur heurte son ouvrage, pour exprimer qu'il n'y met pas la dernière main.
5
Nature : V. n. Donner un choc, recevoir un choc. Heurter contre une pierre.
Qu'il [Jésus-Christ] sera une pierre d'achoppement à laquelle plusieurs heurteront
de Blaise PASCAL dans Proph. 24, éd. FAUGÈRE.
Là, Xénophon dans l'air heurte contre un La Serre
de Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX dans Lutr. V
[Le vaisseau] Heurte s'ouvre et se brise entre d'affreux rochers
de LEMERC. dans Agamemn. I, 1
Sémantique : Fig.
Qui prend soin d'assortir les volontés tellement ensemble qu'elles ne heurtent point les unes contre les autres
de Louis BOURDALOUE dans Pensées, t. II, 484
Sémantique : Fig. C'est heurter de la tête contre la muraille, c'est se heurter la tête contre un mur, que de vouloir lui persuader quelque chose, se dit d'un homme très difficile à persuader.
6
Sémantique : Particulièrement. Frapper à la porte. On a heurté deux coups. J'ai heurté par trois fois.
Et je ne tremble point quand on heurte à la porte
de Abbé Mathurin RÉGNIER dans Sat. V
On avait beau heurter, et m'ôter son chapeau, On n'entrait point chez nous sans graisser le marteau
de Jean RACINE dans Plaid. I, 1
Tout est-il mort ici, valet, laquais, servante ? J'ai beau heurter, crier, aucun ne se présente
de Jean-François REGNARD dans Légataire, III, 2
Heurter en maître, frapper à la porte d'une maison comme si l'on en était le maître.
Sémantique : Fig. Heurter à toutes les portes, employer toute sorte de moyens, solliciter tout le monde.
Sémantique : Fig. Il a heurté à la porte du paradis, se dit de quelqu'un qui réchappe d'une grande maladie.
Sémantique : Fig. Il n'y a qu'à heurter à la porte, se dit d'une personne savante, habile, qu'il n'est besoin que d'interroger pour en recevoir d'utiles informations.
Un si bon sens partout, que je dis plus que jamais qu'il n'y a qu'à heurter à la porte sur tout ce qu'on veut, il y répond parfaitement
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 576
7
Se heurter, Nature : v. réfl. Se frapper contre quelque chose. Elle s'est heurtée contre la table.
Celui qui marche la nuit se heurte parce qu'il n'a point de lumière
de Isaac Louis Lemaistre de SACY dans Bible, Év. St-Jean, ch. XI, V. 10
Quand le prince russe et son armée qu'Alexandre appelait vers le nord, poussèrent sur Sida, ils se heurtèrent contre Davoust et furent forcés de se replier sur eux-mêmes
de Philippe de SÉGUR dans Hist. de Nap. IV, 6
Sémantique : Fig.
Il [Jurieu] marche à tâtons, se heurtant à chaque pas et contre tous les principes de la religion
de Jacques-Bénigne BOSSUET dans 6e avert. 19
Sémantique : Fig. Dans les arts et la littérature, se heurter se dit des couleurs, des expressions qui forment une opposition, un contraste trop brusque.
8
Se rencontrer en se choquant l'un l'autre.
Assurément la tête de leurs chevaux se heurtera en arrivant à Paris, chacun de son côté
de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ dans 236
Des bataillons armés dans les airs se heurtaient
de Jacques DELILLE dans Géorg. I
9
Sémantique : Fig. Se contrarier. Ces deux hommes se heurtent en toute occasion.
Déjà contre le mien son pouvoir s'est heurté
de Casimir DELAVIGNE dans Paria, I, 2

REMARQUE

1
Régnier a dit se heurter, pour s'attacher à : Hautain, audacieux, conseiller de soi-même, Et d'un coeur obstiné se heurte à ce qu'il aime, Sat. V. Aujourd'hui se heurter ne s'emploie plus en ce sens ; l'on dit s'aheurter.

HISTORIQUE

1
XIIe s.
Et se heurterent et de cor et de pis [poitrine]
dans Garin le Loh. t. I, p. 157
Trois fois [il] le heurte [pique son cheval], si fait les saus menus
dans Ronc. p. 54
2
XIIIe s.
Heurte le bien, si qu'il cancele
dans Partonop. v. 2997
Celle part [ele] est alée, s'a [si a] à l'huisset hurté
dans Berte, XLV
À un grant arbre [il] s'est hurtez, Arere chet tut reversez
dans Lai del desiré
Li flots la hurtent et debatent, Et tous jors à li se combatent
dans la Rose, 5949
Ainsi comme nous en alions à pié et à cheval, une grant route de Turs vint hurter à nous, et me porterent à terre
de Jean, PRINCE DE JOINVILLE dans 225
Dont il avint ainsi que notre nef hurta à une queue de sablon qui estoit en la mer
de Jean, PRINCE DE JOINVILLE dans 283
3
XIVe s.
Et comme les chiens, quant il oent [entendent] hurter, il abaient tantost
de Nicolas ORESME dans Eth. 205
Lequel Montfaucon, encor plus corrociez.... le bouta tellement, qu'il li fist ulter de la teste contre une paroiz ; après lequel ultement...
de Victor Henri-Joseph Brahain, dit DU CANGE dans ultare.
4
XVe s.
Il hurtoit grands coups à l'huis ou aux fenestres de la chambre
de Jean FROISSART dans II, III, 22
Le bon serviteur, sans effroi ne bruit, vint heurter à la porte, et au heurter qu'il fit on le connut tantost
de LOUIS XI dans Nouv. XXVII
5
XVIe s.
Heurtez, et la porte vous sera ouverte
de Jean CALVIN dans Instit. 685
De quoy leur profite-il de heurter contre ce roc ?
de Jean CALVIN dans ib. 886
Pour avoir heurté du pied contre le seuil de son huis
de Michel de MONTAIGNE dans I, 74
Ma maison n'est pas close à personne qui y heurte
de Michel de MONTAIGNE dans III, 8
Qu'il se souvienne qu'il est perilleux de heurter contre la fureur françoise, laquelle pourtant s'escoulera soudain
de Francois LANOUE, dit Lanoue Bras de Fer dans 686
Il le heurta au visage avec son escu si rudement qu'il le feit trebucher
de Jacques AMYOT dans Cam. 47
Trop tost heurte à la porte qui maulvayses nouvelles apporte
de PALSGR. dans P. 466
Hardiment heurte à la porte qui bonnes nouvelles apporte
de Randle COTGRAVE dans

ÉTYMOLOGIE

1
Bourguig. urtai ; Berry, hurter ; provenç. urtar ; ital. urtare ; néerlandais, hurten ; angl. to hurt. D'après Diez, les mots germaniques, faisant défaut dans les vieux dialectes, viennent des mots romans, et non ceux-ci de ceux-là. Dès lors l'étymologie reste ignorée ; Scheler indique le kimry hwrdh, bouc et choc, d'où hyrdhu, frapper, heurter.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
En Normandie, heurter se dit des boeufs qui frappent avec les cornes.
Le taureau a heurté la servante
de DELBOULLE dans Gloss. de la vallée d'Yères, le Havre, 1876, p. 186
2
Nature : Absolument. Méfiez-vous, cette vache heurte.

Synonymes de HEURTER

Termes proches de HEURTER