Définition de ENNUI

DÉFINITIONS - REMARQUE - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : an-nui, an prononcé comme dans antérieur

DÉFINITIONS

1
Tourment de l'âme causé par la mort de personnes aimées, par leur absence, par la perte d'espérances, par des malheurs quelconques.
Le roi même arrivant partage leur ennui
Si malgré ces raisons votre ennui persévère, Mon cher Lélie, au moins faites qu'il se modère
Adieu ; je sens mon coeur qui se gonfle d'ennui
C'est de tous les ennuis l'ennui le plus sensible
Et ce sera de quoi mieux combler son ennui
de Thomas CORNEILLE dans ib. IV, 3
Ce n'est qu'avec le temps qu'un grand ennui se passe
de QUINAULT dans Mère coq. II, 6
Un fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne.... En vain monte à cheval pour tromper son ennui ; Le chagrin monte en croupe et galope avec lui
Sa mort avancera la fin de mes ennuis
Pour comble d'ennui, Mon coeur, mon lâche coeur s'intéresse pour lui
de Jean RACINE dans ib. v, 1
Pour accabler César d'un éternel ennui
Rien ne peut-il charmer l'ennui qui vous dévore ?
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis
Ah ! que dis-tu ? pourquoi rappeler mes ennuis ?
Mais des ennuis d'Hamlet que faut-il que je pense ? Qui peut de ses transports aigrir la violence ?
La vie est-elle toute aux ennuis condamnée ? L'hiver ne glace point tous les mois de l'année
Contrariété. Cette affaire lui a donné beaucoup d'ennui. Être accablé d'ennuis.
2
Sorte de vide qui se fait sentir à l'âme privée d'action ou d'intérêt aux choses. Donner, causer, avoir, éprouver de l'ennui. Un ennui mortel. Charmer les ennuis de l'absence.
Quand on se verrait même assez à l'abri de toutes parts [des misères], l'ennui, de son autorité privée, ne laisserait pas de sortir du coeur où il a des racines naturelles, et de remplir l'esprit de son venin
Dans l'Orient désert quel devint mon ennui !
L'ennui est entré dans le monde par la paresse
de Jean de LA BRUYÈRE dans XI
Pour la délicatesse et l'affectation d'ennui, il faut la réprimer en montrant que le bon goût consiste à s'accommoder des choses selon qu'elles sont utiles
Le plaisir nous fait oublier que nous existons, l'ennui nous le fait sentir
de SAINT-FOIX dans Ess. Paris, Oeuvres, t. IV, p. 246, dans POUGENS
L'ennui, ce triste tyran de toutes les âmes qui pensent, contre lequel la sagesse peut moins que la folie
de Georges Louis Leclerc, comte de BUFFON dans Nature des anim.
Je ne sais si ma tête est jeune, mais mon corps est bien vieux ; si je ne m'amusais pas à faire des testaments, je serais bientôt mort d'ennui
Il part, vole, arrive, l'ennui Le reçoit à la grille et se traîne avec lui
Rosine : L'ennui me tue. - Figaro : Je le crois ; il n'engraisse que les sots
C'était un rassemblement de commérages, une collection d'ennuis tout à la fois divers et monotones
de Mme DE STAËL dans Corinne, XIV, 1
Vive Homère ! que Dieu nous garde Et des Fingals et des Oscars, Et du sublime ennui d'un barde Qui chante au milieu des brouillards !
de LEBRUN dans Stances sur Ossian.
Sur un trône l'ennui se carre, Fier d'être encensé par des sots
de Pierre Jean de BÉRANGER dans Prince de Navarre.
Dégoût de tout. Tomber dans un ennui profond. L'ennui de la vie.
Mélancolie vague. L'ennui de Réné [le héros d'un roman de Chateaubriand].
Du romantisme jeune appui, Descends de tes nuages ; Tes torrents, tes orages Ceignent ton front d'un pâle ennui
de Pierre Jean de BÉRANGER dans Troubadours.
Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne Et chercher sur les mers quelque plage lointaine Où finir en héros son immortel ennui
de Alfred DE MUSSET dans Poésies nouv. Lett. à Lamartine

REMARQUE

1
Dans le style relevé, ennui est un mot d'une grande force et qui s'applique à toutes sortes de souffrances de l'âme : les ennuis du trône ; des ennuis cuisants. Dans le langage ordinaire, il perd beaucoup de sa force et se borne à désigner ce qui fait paraître le temps long.

HISTORIQUE

1
XIIe s.
Sumeilla la meie aneme [âme] pur ennui
dans Liber psalm. p. 184
Amors m'a fait oublier L'ennui qui long tens m'a mort
dans Couci, IV
Se li ennuis de la gent malparliere Ne me feïst douloir
dans ib. XXVIII
Mais de chevage prendre est moult grant li anois ; à tort et à pechié somes clamé François
dans Sax. XVIII
Li prelaz d'Eurewie, cil de Londres, ço qui [je pense], Conseil lui unt duné privéement andui [tous deux], Que, veant si grant gent, ne li fesist anui
dans Th. le mart. 43
2
XIIIe s.
D'ennui et de paour sui au cuer mout destroite
dans Berte, XXIX
Ours ne lion n'est, ne beste sauvage Qui, tel foiz est, ne fraigne son vouloir De faire mal et ennui et domage
de EUSTACHE LE PEINTRE dans dans Couci.
Car endroit moi ai-je fiance, Que songe soit senefiance Des biens à gens et des anuis
dans la Rose, 17
Et par ce que ce seroit anuis de dire et de specifier les cas de crieme, il seront dit el capitre des meffés
de Philippe de BEAUMANOIR dans XI, 31
Il dient, por fere anoi à cex contre qui il ont à pledier, qu'il atendent leur conseil
de Philippe de BEAUMANOIR dans XI, 67
3
XIVe s.
Qui ennuy fait ennuy requiert, Et ferus doit estre qui fiert
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 390
Nous en dirons aucunes causes et non pas toutes, pour ce qu'il n'eust enuie de ceulx qui ceste histoire liroient
dans Chr. de St-Denis, t. II, f° 63, dans LACURNE
4
XVe s.
Quand Messire Jean de Hollande fut informé de cette aventure, si cuida bien forcener d'annoi
[Le roi Robert d'Escosse] assembla son conseil, et leur remonstra comment les Anglois, du temps passé, leur avoient fait plusieurs ennuis
Cinq sous font autant, Quant on est content Et qu'on jette les ennuis Derriere l'huis, Que d'escus les sacs tous pleins
de BASSEL. dans XXXIX.
5
XVIe s.
Petit ennuy un grand ennuy appaise ; Bref, sans ennui, trop fade seroit l'aise
de Clément MAROT dans I, 383
Telle ennuy cesseroit
de Clément MAROT dans I, 382
Qui pourroit raconter l'ennuy que je receu, Quand de sur mon giron tout froid je l'apperceu
de Pierre de RONSARD dans 791
Si je m'endors quand mes ennuis me tiennent, Je suis perdu des songes qui me viennent
Ennuy en an le jour prolonge
de GÉNIN dans Récréat. t. II, p. 238
Ennuy nuit et jour nuit
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 296

ÉTYMOLOGIE

1
Berry, enneu ; provenç. enueg, enuet, enuey, enueit, enuit, enuoi, enoi, enut, et au féminin, enueja, enueia ; catal. enutg ; espagn. et portug. enojo ; ital. noja ; anc. ital. nojo. Mot important, mais d'origine douteuse. On le tire ordinairement du latin noxa ou noxia, tort, préjudice ; mais la forme des mots se prête peu à cette étymologie, puisque noxa ou noxia auraient donné nose ou noise. Fauriel propose le basque enoch ; mais rien ne garantit que enoch ne soit pas venu de l'espagnol dans le basque. Pour ces raisons, Diez, se joignant à Cabrera, propose le latin odium : est mihi in odio, cela m'ennuie ; d'où un substantif inodium, qui permet la dérivation de toutes les formes romanes, l'italien noja ayant perdu l'i ou l'e par une aphérèse qui n'est pas rare dans cette langue. Ce qui donne beaucoup de force à cette étymologie, c'est que inodio se trouve effectivement dans l'ancien parler vénitien, dont Diez rapporte ces exemples-ci : plu te sont a inodio, en italien più ti sono a noja, en français plus te sont à anoi ; a to inodio, italien a tua noja, français al tuen anoi. On remarquera à côté de la forme masculine, plus usitée, la forme féminine de ce mot en français, en provençal et en italien.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
ENNUI. - ÉTYM. Ajoutez : à l'appui de l'étymologie in odio, remarquez qu'on dit en provençal moderne : mé vénes en odi, tu m'ennuies.

Synonymes de ENNUI

Termes proches de ENNUI