Définition de CRAINDRE

DÉFINITIONS - REMARQUE - SYNONYME - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : krin-dr'

DÉFINITIONS

1
Éprouver le sentiment qui fait reculer, hésiter devant quelque chose qui menace.
Qui ne craint pas la mort ne craint pas les menaces
Qui peut tout doit tout craindre
Il ne faut craindre rien quand on a tout à craindre
Les rois craignent surtout le reproche et la plainte
Je le craindrais bientôt s'il ne me craignait plus
Comme il les craint sans cesse, ils le craignent toujours
Nous [Phéniciens] avions tout à craindre de sa sagesse [de Sésostris]
C'était une de ses maximes, qu'il fallait craindre les ennemis de loin pour ne les plus craindre de près et se réjouir à leur approche
Mentor, qui craignait les maux avant qu'ils arrivassent, ne savait plus ce que c'était que de les craindre dès qu'ils étaient arrivés
Et dans l'état où j'entre, à te parler sans feinte, Elle a lieu de me craindre, et je crains cette crainte
Prince, je crains le crime et non point le trépas
de LA MOTTE dans Inès de Castro, III, 6
Nature : Absolument.
Espérer, c'est se flatter de la jouissance d'un bien ; craindre, c'est se voir menacé d'un mal
de Etienne Bonnot de CONDILLAC dans Traité sens. part. I, ch. 3, § 8
Craindre pour quelqu'un, pour quelque chose, craindre qu'il ne lui arrive quelque mal, quelque dommage.
Il [Thalès] avait coutume de dire que la preuve d'un bon gouvernement était d'engager les sujets non à craindre le prince, mais à craindre pour lui
Se faire craindre, inspirer la crainte. Ils se sont fait longtemps craindre.
Quand on cherche si fort les moyens de se faire craindre, on trouve toujours auparavant ceux de se faire haïr
2
Révérer, respecter. Craindre son père.
Je crains Dieu, cher Abner
La gloire des méchants en un moment s'éteint ; L'affreux tombeau pour jamais les dévore ; Il n'en est pas ainsi de celui qui te craint : Il renaîtra, mon Dieu, plus brillant que l'aurore
Crains Dieu, et garde ses commandements, car c'est là tout l'homme
Souvenez-vous que ceux qui craignent les dieux n'ont rien à craindre des hommes
Il faut que les sujets espèrent en Dieu et que les souverains le craignent
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Éloges, Bossuet
Sémantique : Familièrement. Ne craindre ni Dieu ni diable, se dit d'un homme méchant et capable de tout.
Sémantique : Par extension. Ce cheval craint l'éperon, il obéit à l'éperon.
3
En parlant des choses inanimées, éprouver du dommage ne pas résister. Ces plantes craignent la gelée Arbres qui ne craignent pas l'hiver.
4
Nature : V. n. Craindre avec de et l'infinitif, hésiter, ne pas oser. Ne craignons pas de parler en cette circonstance.
On ne voit dans ses jugements [du juge qui veut s'agrandir] qu'une justice imparfaite, semblable, je ne craindrai pas de le dire, à la justice de Pilate....
Sans cesse on prend le masque, et quittant la nature, On craint de se montrer sous sa propre figure
Sur les pas d'un banni craignez-vous de marcher ?
Des soupirs qui craignaient de se voir repoussés
Le cardinal de Richelieu était mort peu regretté de son maître, qui craignit de lui devoir trop
Viens régner avec nous si tu crains de servir
Avec le subjonctif accompagné de la particule ne.
Craignez-vous qu'il ne vienne ? Je crains qu'en l'apprenant son coeur ne s'effarouche
Je n'ai jamais importuné Votre Majesté pour lui demander du bien ; je crains que je ne l'importune en lui disant qu'elle m'en a fait
de Esprit FLÉCHIER dans dans GIRAULT-DUVIVIER
Je crains presque, je crains qu'un songe ne m'abuse
Quoi ! Craignez-vous déjà qu'ils ne soient écoutés ?
de Jean RACINE dans ib. IV, 4
Tout m'est suspect : je crains que tout ne soit séduit ; Je crains Néron, je crains le malheur qui me suit
Tant qu'il vivra, craignez que je ne lui pardonne
Ah ! courez et craignez que je ne vous rappelle
de Jean RACINE dans ib. IV, 3
On craint qu'il n'essuyât les larmes de sa mère
Sans la particule ne.
Il nous fallait, pour vous, craindre votre clémence, Et que le sentiment d'un coeur trop généreux, Usant mal de vos droits, vous rendît malheureux
Il craint qu'un indiscret la vienne révéler
Mais je crains qu'elle [la patience] échappe et que, s'il continue, Je ne m'obstine plus à tant de retenue
Avec juste raison je crains qu'entre nous deux L'égalité rompue en rompe les doux noeuds, Et que ce jour fatal à l'heur de notre vie Jette sur l'un de nous trop de honte ou d'envie
Et le plus grand des maux toutefois que je crains, C'est que mon triste sort me livre entre ses mains
de Pierre CORNEILLE dans ib. I, 7
Vous craignez que ma foi vous l'ose reprocher
de Pierre CORNEILLE dans ib. I, 5
Vous l'accusiez pourtant, quand votre âme alarmée Craignait qu'en expirant ce fils vous eût nommée
de Pierre CORNEILLE dans ib. V, 4
Seigneur, je crains pour vous qu'un Romain vous écoute
Je craindrais que peut-être à quelques yeux suspects tu me fisses connaître
Mais hélas ! je crains bien que j'y perde mes soins
....Oui, mais qui rit d'autrui Doit craindre qu'à son tour on rie aussi de lui
Les soins d'un amour extrême Devroient moins vous alarmer ; Vous craignez trop qu'on vous aime ; Ne craignez-vous point d'aimer ?
de QUINAULT dans Proserpine, I, 3
Et craignant qu'on me fasse un crime de mes pleurs
de CAMPISTRON dans Andronic, V, 10
Craignant surtout qu'à rougir on l'expose
Bien que la particule ne soit réellement explétive, cependant l'usage en a consacré l'emploi ; et la supprimer est une licence qui n'est permise qu'à la poésie ; elle l'est aussi quand la construction est interrogative ou implique un sens négatif :
Peut-on craindre que des choses si généralement détestées fassent quelque impression dans les esprits ?
On peut prendre du profit, sans craindre qu'il soit usuraire
Je crains peu qu'un grand roi puisse en être jaloux
de CRÉB. dans Électre, II, 4
Ne pas craindre, suivi de que, veut le subjonctif, mais sans la particule ne. Je ne crains pas qu'il fasse cette faute.
Ne craignez pas que, prêt à vous désobéir, Il apprenne avec moi, seigneur, à vous trahir
de CRÉB. dans Xerx. III, 5
Je ne crains pas qu'on soupçonne de partialité sur cet article un homme que l'on n'a pas accusé jusqu'ici d'être fort doucereux
de CRÉB. dans Préf. d'Idom.
Si ne pas craindre est dit interrogativement, le que suivant est suivi de ne : ne craignez-vous pas qu'il ne vienne ? Cependant on peut dire aussi sans ne : ne craignez-vous pas qu'il vienne ?
Craindre, suivi d'un verbe qu'accompagne la négation, exprime la crainte que la chose ne se fasse pas, et par conséquent le désir qu'elle se fasse. Je crains de ne pas le voir. Je craignais qu'il ne vînt pas.
5
Se craindre, avoir crainte de soi-même, Nature : v. réfl. Il se craint soi-même.
Il se craignait trop peu, ce qui est le caractère de ceux qui n'ont pas le soin de leur réputation

REMARQUE

1
1. Craindre, suivi d'un verbe à l'infinitif, exige la préposition de : je ne crains pas de me tromper, si je parle ainsi ; et non : je ne crains pas me tromper.
2
2.
La construction de craindre, suivi de que et d'un verbe, est le subjonctif ; il faut donc se garder d'imiter ces phrases de Fénelon : Je crains bien que tous ces petits sophistes grecs achèveront de corrompre les moeurs romaines
Je craignais que les Grecs nous communiqueraient bien plus leurs arts que leur sagesse
Ne craignais-tu pas que Pythias ne reviendrait point et que tu payerais pour lui ?

SYNONYME

1
CRAINDRE, APPRÉHENDER, AVOIR PEUR, REDOUTER. Redouter se distingue des trois autres en ce qu'il exprime la crainte de quelque chose de supérieur, de terrible, à quoi on ne peut résister Appréhender se distingue de craindre et avoir peur, en ce que, conformément à son étymologie, il indique une vue de l'esprit, une attention portée sur l'avenir, sur la possibilité ; ce qu'on appréhende apparaît moins comme probable que comme possible. Au contraire, ce qu'on craint apparaît non-seulement comme possible, mais aussi comme probable. Enfin, avoir peur désigne un état de l'âme où devant le péril le courage fait défaut ; on peut craindre le danger et pourtant y faire tête ; mais si on a peur du danger, il est le plus fort et nous emporte. Je redoute l'orage veut dire que je le regarde comme formidable ; j'appréhende l'orage, qu'il me paraît possible ; je crains l'orage, que les effets m'en semblent dangereux pour moi ; j'ai peur de l'orage, qu'il m'ôte tout courage.

HISTORIQUE

1
XIe s.
Je me crendreie que vous vous meslissiez [faire mêlée, combattre]
dans Ch. de Rol. XVIII
Seürs est Charles, que nul homme [il] ne crent
dans ib. X
2
XIIe s.
Franc, dit Rollant, bone gent honorée, Sur toutes autres cremue et redoutée
dans Ronc. p. 48
[Je] creim que occis soit ainz que soions là
dans ib. p. 95
Las ! je cren mout qu'il n'i ait encombrer
dans ib. p. 165
Mais cil qui faillir crient Est si destrois, quant secours ne lui vient
dans Couci, XX
Que povre sont li autre chevalier, Si crement la demorance [de rester à la croisade]
de QUESNES dans Romancero, p. 101
Car mult cremi de sei, quant le respuns oï ; Mult nota les paroles que li quens respundi
dans Th. le mart. 52
Car plus criement assez le terrien seignur Que il ne funt Jesu le puissant createur
dans ib. 28
Li sire est la meie salut ; cui crenderai je ?
dans Liber psalm. p. 31
E crendrunt les genz le tuen num
dans ib. p. 146
Uns hom astoit en la terre Us, ki out num Job, simples et droituriers, cremmanz Deu e repairans ensus del mal
dans Job, 442
3
XIIIe s.
Et li autre remestrent [restèrent] moult à malaise dedens Constantinople, come cil qui cremoient à perdre toute la terre
Li diex d'amors onc ne cremut, Ne por fortune ne se mut
dans la Rose, 6913
Forment se fist la serve et douter et cremir
dans Berte, LXIII
Si te criement li paien tuit, à pou que chascuns ne s'en fuit
dans Ren. 11269
4
XVe s.
Un moult haut prince cremu et renommé
Ja pour mesdit, barat ne jenglerie, Ne cesserai de vous craindre et amer De plus en plus, chiere dame sans per
de Eustache DESCHAMPS dans Poésies mss. f° 141, dans LACURNE
Le peuple doit chascun jour labourer Pour les estas des nobles soutenir, Et si les doit honourer et cremir
de EUST. DESCHAMPS dans Gouvern. des rois
Moins se soucyer et moins se travailler et entreprendre moins de choses, plus craindre à offenser Dieu
de Philippe de COMMINES dans VI, 13
5
XVIe s.
Reprenez donc vos forces et couraiges, et ne craignez des François les oultraiges
Je ne crains à vous donner de la peine
Je ne crains vous recommander ung si homme de bien
Ma povre soeur faict un si très grant duel, que je crains bien sa santé
Je n'entends point parler de la dicte commission, qui me faict craindre qu'il y ait quelque empeschement
Le gentilhomme craignant sa vie s'il offensoit son maistre, et la damoiselle, son honneur
Le pape, se craignant qu'on luy teinst propos qui....
de Michel de MONTAIGNE dans I, 41
Ses adversaires craignoient de le piquer
de Michel de MONTAIGNE dans I, 41
Ne craindre point à mourir
de Michel de MONTAIGNE dans I, 69
Si est-il à craindre que la honte les desespere
de Michel de MONTAIGNE dans I, 56
Ils craignoient à m'accoster
de Michel de MONTAIGNE dans I, 194
Craignants qu'ils ne vinssent à....
de Michel de MONTAIGNE dans I, 233
Les medecins ne craignent de s'en servir à toute sorte d'usage
de Michel de MONTAIGNE dans I, 240
Chascun craint à estre espié et contreroollé
de Michel de MONTAIGNE dans I, 332
Je ne veulx ny me craindre, ny me sauver à demy
de Michel de MONTAIGNE dans III, 9
Je crains que c'est un traistre
de Michel de MONTAIGNE dans III, 310
Bien crains je que nous lui aurons très fort hasté sa ruine par notre contagion, et que nous lui aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts
de Michel de MONTAIGNE dans IV, 17
Les tyrans qui sont contrains, faisans mal à tous, se craindre de tous
Quand la maison voisine ard, on doit bien craindre la sienne
de Jacques YVER dans p. 526
Et craignoient les mariniers que leur vaisscau ne peust pas resister à la violence des vagues.I ls craignoient de rencontrer des hommes, et si avoient peur de n'en rencontrer point pour la grande faulte et necessité qu'ilz avoient de vivres
de Jacques AMYOT dans Marius, 65
Le commun populaire craint ordinairement ceulx qui le mesprisent, et avance ceulx qui le craignent
de Jacques AMYOT dans Nicias, 3
Il y en a qui disent que tous les princes le haïssent, et mesmes qu'il a à se craindre du ciel
Le duc d'Albe se craignant de la Bourgongne, quoi que les Suisses fussent obligez à la garantir, despescha quelques troupes legeres
Estrange est son plumage, et je crains à loger, Pour n'estre point deceu, un si jeune estranger
de Pierre de RONSARD dans 814
Il ne craint ni les rez ni les tondus [il ne craint personne]
de Randle COTGRAVE dans

ÉTYMOLOGIE

1
Saintong. crainre ; provenç. cremer ; du latin tremere, trembler et aussi craindre. L'articulation tr s'est changée facilement en cr ; ce qu'il faut admettre, bien qu'on n'en ait pas d'exemples, l'étymologie étant d'ailleurs appuyée par le sens et par la forme eindre qui répond à emere, comme dans empreindre d'imprimere. Craindre répond à trémere avec l'accent sur tré, comme geindre à gémere ; cremir répond à une conjugaison changée, tremire, comme gémir à gemire ; non pas tremiscere ou gemiscere qui auraient donné cremoistre, gemoistre ou gemaistre, comme dans les formations de ce genre.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
Conjecturer, juger, en craignant.
La voie que vous avez prise et que vous craignez n'être pas la meilleure, ne le sera pas toujours sans doute
2
Se craindre, être craint, en parlant de choses.
Qu'il [Charles - Quint] était instruit de tout ce qui se disait et se craignait, et qu'il ne négligerait rien pour avoir partout des gens qui lui donnassent avis de tout
dans Hist. du concile de Trente, trad. de le Courayer, t. I, p. 670
3
1. Ajoutez : Cependant Corneille a dit craindre à : Si du sang d'une fille il craint à se rougir, Théod. Mais Corneille a corrigé plus tard craindre à en : craindre de.

Synonymes de CRAINDRE

Termes proches de CRAINDRE